samedi 29 décembre 2012

Recommandation n° 1 : Harry Gruyaert

Harry Gruyaert expose au Botanique, à Bruxelles, jusqu'au 3 février 2013. Les détails de cette exposition sont disponibles par le lien suivant : www.botanique.be/expo/harry-gruyaert-roots. Je recommande vivement la visite de cette exposition.
 
Les images exposées ont toutes été réalisées en Belgique de 1970 à 1980. De là le titre de l'exposition : roots, racines. La plupart d'entre elles sont en couleur, et représentent sans doute le travail le plus caractéristique du photographe. La qualité des tirages est remarquable — même si, en ce qui me concerne, je ne sacrifierai jamais tant la luminosité et la saturation. Mais cela reste du domaine des préférences personnelles.

Singulièrement, toutes les photos exposées, de format rectangulaire — probablement au rapport 3:2 lié au format initial de la diapositive —, sont horizontales. Toutes, sauf une, qui reste pour moi la photo mystère, car la lampe destinée à l'éclairer ne fonctionnait pas. Or, les tirages de Gruyaert demandent une certaine intensité lumineuse pour en apercevoir les détails. Cette image verticale reste pour moi mystérieuse, d'autant qu'elle n'est pas reprise dans le catalogue de l'exposition, probablement parce que que celui-ci a pris le parti d'un format rectangulaire en orientation paysage.

Peu importe; là où je veux en venir, c'est que les images couleur de Gruyaert réussissent à rendre l'atmosphère si particulière de la Belgique. Une atmosphère née à la fois d'une lumière des plus capricieuses qui soient (on comprend son amour pour le Maroc!) et d'un environnement où la couleur n'est pas absente absolument, mais participe à créer une ambiance ambiguë oscillant entre joyeuse luminosité et lueurs glauques. C'est cela, la lumière belge : un entre chien et loup permanent, même au plus fort de l'été, quand luit notre waterzonnetje, notre petit soleil mouillé. Seule la photographie couleur pouvait rendre cette lumière.

Crépuscule sur la Chaussée de Vilvorde à Bruxelles, 1980
Harry Gruyaert est considéré comme un des premiers à avoir introduit la photographie couleur en Europe en tant qu'expression spécifique. Dans les années 70 y prévalait encore le préjugé commun selon lequel la photographie d'art sérieuse devait être en noir et blanc; alors qu'aux États-Unis elle avait fait son entrée en force dans les musées, notamment par William Eggleston — dont Gruyaert se réclame —, avec, il est vrai, le coup de pouce enthousiaste et la bénédiction du pontifex maximus de l'époque pour la section photographie du MOMA, John Szarkowski.

Cela m'amène à m'interroger sur l'histoire de la photographie couleur.

Une telle histoire doit encore être écrite et, peut-être, n'est-il pas trop tôt. L'émergence de la photographie couleur comme forme d'expression spécifique précède sa reconnaissance de fait lorsqu'elle entre dans les musées — car nous sommes alors déjà en 1976 (l'exposition William Eggleston's Guide au MOMA). Or c'est bien plus tôt que certains photographes vont utiliser la pellicule couleur pour leurs travaux propres.

Dans une certaine mesure, on peut dire que la naissance de la photographie couleur moderne — je veux parler de son utilisation comme moyen d'expression propre, et non pas l'objet technique — est consécutive à l'apparition de la pellicule Kodachrome. Mais c'est mal dire que la photographie couleur est consécutive à l'apparition de ce film. En réalité, en photographie, le regard précède l'innovation technique et la suscite : la photo couleur n'est pas la conséquence de l'apparition du Kodachrome, c'est l'inverse qui est vrai (je tâcherai de développer cette thèse plus tard, car elle vaut pour de nombreuses étapes dans l'histoire de la photographie). Or, cette pellicule fut développée avant la Seconde guerre mondiale et mise sur le marché, pour la première fois, en 1935.

Dès cette époque, aussitôt proposée aux photographes (elle fut développée originellement pour le cinéma), elle se trouva être adoptée. Le projet FSA/OWI, dont les images noir et blanc sont archi-connues, a produit, entre 1939 et 1945 — on le sait moins —, plus de 1600 diapositives couleur : nombre d'entre elles sont sur Kodachrome. La version II de ce film, qui apparaît en 1961, portant sa sensibilité de 8 à 25 ASA (ISO pour les jeunes), puis, l'année suivante, avec le Kodachrome X à 64 ASA, va véritablement permettre une photographie couleur dynamique et novatrice : c'est le film des Ernst Haas (qui commence à photographier en couleur dès 1952), Fred Herzog (dès 1953), Jay Maisel (dès 1964), William Eggleston bien sûr (dès 1965) — pour ne citer que quelques des plus grands pionniers.

Il est à noter que, parmi ces pionniers justement — hormis Fred Herzog, qui fut un amateur de haut vol, ou Eggleston, l'inclassable —, on retrouve des photographes dits «commerciaux» : Haas et Maisel certes, mais aussi Pete Turner, qui traverse l'Afrique en 1959-1960 les poches pleines de rouleaux de Kodachrome, et dont on connaît les œuvres publicitaires qu'il allait en tirer. Pourquoi ce succès auprès des commerciaux? Parce que cette époque est l'âge d'or des grands magazines illustrés : Life, Time, et d'autres. Magazines pour le grand public, ce dernier réclame les images couleurs que le Kodachrome, qui s'est répandu comme le film préféré des amateurs du dimanche, lui a appris à goûter. La publicité ne fut pas en reste dans cette œuvre d'apprentissage. C'est par ces intermédiaires que la photographie couleur s'est popularisée. Pour d'aucuns, c'était un gage de superficialité et de médiocrité : Walker Evans la rejeta dédaigneusement en la qualifiant de «vulgaire». Or, c'est cette «vulgarité» que le Pop'Art des années soixante allait exploiter; c'est aussi cette «vulgarité» que les premiers photographes couleur allait rehausser au niveau d'un art spécifique.

Lampes. Bitburger, Allemagne 2010
La photographie couleur a pour elle deux atouts que le noir et blanc peine à égaler ou à imiter: elle est plus sensuelle et elle est plus descriptive. Plus sensuelle car elle interpelle le regard d'une manière plus impérieuse, aguichante quelquefois, mais aussi en lui suggérant des relations avec les autres sens comme l'odeur ou certains sons. Elle seule sait rendre la plénitude d'une lumière, la chaleur d'un après-midi d'été, l'odeur des fruits mûrs, la douceur de la peau d'une femme... Elle est plus descriptive aussi, parce qu'elle apporte plus d'information et, par là, confère à l'image couleur une profondeur à laquelle le noir-et-blanc ne peut prétendre. En s'en convaincra d'autant plus aisément que l'exposition de Harry Gruyaert juxtapose ses premières images en noir-et-blanc à celles réalisées ultérieurement en couleur.

Visage bleu et langue rose. Bruxelles, 2012
L'apparition de l'imagerie numérique est le dernier avatar technique qui libère sans doute définitivement la couleur des contraintes et limitations qui étaient encore les siennes il y a peu. La couleur se banalise d'autant plus, et c'est pour cela qu'il est urgent d'en écrire l'histoire. C'est pour cela qu'il faut aujourd'hui prêter attention aux œuvres de ces premiers maîtres de la photographie couleur, car elles sont les témoins d'une conquête du regard dont on ignore trop qu'elle fut difficile. C'est pour cela qu'il faut aller voir l'exposition Roots de Harry Gruyaert.

vendredi 21 décembre 2012

Garry Winogrand et la césure temporelle

Dans mes deux messages précédents, j'ai tenté d'exposer et d'éclaircir en quoi la photographie était un mode particulier de création d'images. Elle devait trouver par ces analyses ce qui détermine sa spécificité et donc, partant, sa légitimité en tant que mode d'expression, dans un sens le plus large possible.

L'analyse de l'acte photographique, en particulier, montrait par quel «mécanisme» l'image photographique qui en résultait était construite. Mais si les effets du cadrage en tant que détermination spatiale du monde d'image semblaient peut-être aisés à comprendre, les mêmes effets résultant du «cadrage» temporel pouvaient paraître moins évidents.

Je n'avais pas sous la main d'image personnelle qui eût pu illustrer cela de manière convaincante. Mais j'ai mieux que cela; je propose que nous examinions une image d'un maître en la matière : Garry Winogrand.

La photo reproduite ci-après est extraite du recueil Public Relations publié par le MOMA. La photo en question se trouve p. 23 de l'édition 2008.

© Garry Winogrand
J'ai choisi cette image car elle est relativement simple dans les relations d'entretiennent ses éléments entre eux. Nombre d'images de Winogrand sont d'une extraordinaire complexité, et si elles illustrent, elles aussi, ce que je nomme ici la «césure temporelle», leur complexité même aurait rendu l'analyse plus difficile.

Que nous montre cette photo? Quatre personnes sont ici mises en relation. Le personnage de droite tend la main pour solliciter une poignée, mais son geste reste suspendu. Il attend la main de son interlocuteur en face de lui. Un photographe bien élevé eût attendu une fraction de seconde jusqu'à ce que les deux mains se rejoignent. Il s'agit ordinairement de montrer la gestuelle de la poignée de main dans son accomplissement même. Mais Winogrand choisit de déclencher un court instant plus tôt. Et toute l'ambiguïté de la scène représentée dans cette image se trouve créée par cette fraction de seconde d'un déclenchement de l'obturateur «prématuré».

Notre personnage de droite tend la main; son bras est tendu dans le vide. Son visage esquisse un sourire, mais ce sourire paraît crispé; on a le sentiment qu'il rit jaune : «va-t-il me serrer la main, oui ou non? Qu'est-ce qu'il attend?». Son interlocuteur regarde gravement cette main présente devant lui, mais son bras droit, duquel le premier attend la rencontre des mains, esquisse lui aussi un geste suspendu dont on ne sait s'il est en train de s'étendre pour rejoindre la main tendue ou, au contraire, s'il le rétracte comme pour refuser la poignée. Sans doute le geste a-t-il été arrêté dans son mouvement d'extension. Mais nous n'en avons pas la preuve. Détaillons en effet l'attitude des deux femmes; elle ajoute encore à l’ambiguïté de la scène :

la première, celle de gauche en avant-plan, semble sourire sarcastiquement à l'homme au bras tendu. Elle semble penser «il t'a bien eu hein? De quoi as-tu l'air maintenant, avec ton bras bêtement tendu dans le vide?». Elle semble complice de la mauvaise blague que lui joue le personnage de gauche. Et la femme en blanc, au centre de l'image, ne semble-t-elle pas supplier le personnage de gauche au geste hésitant? «Tu ne vas quand même lui faire ça? Non, ne lui fais pas ça!».

Si l'image photographique a cette extraordinaire faculté d'arrêter le temps sur une infime fraction de seconde, abolissant le sens temporel des objets dans leur relation avec un avant et un après, son effet sur la signification de ces objets mis en relation temporelle (par exemple, un geste en train de s'accomplir, comme ici) est proprement dévastateur. Toute la trame relationelle des objets et des signes s'en trouve dramatiquement bouleversée. Mais non pas jusqu'au point de rendre la scène inintelligible. Non, ce qui se passe, c'est qu'elle se voit maintenant pourvue d'une intelligibilité nouvelle que les protagonistes de la scène photographiée n'ont certainement jamais soupçonné.

Garry Winogrand disait qu'il photographiait «afin de voir comment paraissent les choses quand elles sont photographiées». Sans s'encombrer d'analyses comme nous le faisons ici, il avait assez de feeling pour saisir ce qui se passait, et l'exploiter d'une manière virtuose. Garry Winogrand est un virtuose de la césure temporelle.

dimanche 16 décembre 2012

L'acte photographique

Après avoir déterminé la spécificité de l'image photographique, comme je le promettais alors,  je voudrais maintenant examiner ce qu'il en est quand on se place du point de vue du photographe. Car si l'image est bien le but poursuivi par le photographe, afin de partager sa vision, elle résulte cependant d'un processus complexe qui amène celui-là à la décision de saisir quelque chose en image. Cette décision et son accomplissement, est ce que j'appelle l'acte photographique.

Dans ce message, je me contenterai de décrire le mécanisme de la saisie de l'image, et les conséquences qui résultent de son extraction du monde réel et de sa temporalité. Je réserverai à plusieurs autres posts le soin de décrire le passage de la perception à l'accomplissement de l'acte photographique.

Pour illustrer ce que je veux décrire ici, je voudrais procéder par une première approche purement didactique. Elle aura le mérite, je l'espère, de bien faire comprendre ce qui se passe lorsque le photographe cadre son «sujet», puis appuie sur le déclencheur. Dans ce but, que l'on me permette de décrire ce processus au travers de trois images qui n'ont aucune autre prétention que de valoir comme outils didactiques.

Imaginons-nous donc, photographe de rue en quête d'images, l'appareil à la main, réalisant des photos à partir de ce que nous percevons dans notre environnement. J'avise une église de village dont je réalise une première image :

Église de village
C'est une photo quelconque d'une église de village quelconque. On y perçoit le clocher qui nous apprend avec certitude de quel bâtiment il s'agit. Une route y mène, flanquée d'un panneau indicateur assurant que la rue en question est à sens unique. Une photo dont la valeur est uniquement documentaire : photo-d'une-église-de-village.

Du même point de vue, utilisant la facilité de mon objectif zoom (je reviendrai dans un message ultérieur sur l'usage du zoom), je serre mon cadrage et obtiens ceci :


Panneau et route
L'image est non seulement différente parce qu'elle est cadrée différemment, mais surtout parce que son sens s'en trouve transformé. Il ne s'agit plus d'une photo-d'une-église-de-village, puisque l'église n'y apparaît plus entièrement. Son clocher est exclu du cadre de l'image, et le bâtiment en question pourrait avoir une tout autre fonction. L'image maintenant semble plutôt se rapporter au panneau indicateur, dont la fonction est comme illustrée par la rue toujours présente. Il s'agit d'une photo à valeur peut-être documentaire, qui pourrait illustrer un manuel d'instruction du code de la route. Il s'agit maintenant d'une photo-d'un-panneau-pour-une-rue-à-sens-unique.

Mais je m'approche maintenant de ce panneau bleu avec sa flèche verticale. J'ai pu m'étonner qu'une flèche verticale eût à indiquer le sens d'une route bien horizontale. Je vais profiter de cette ambiguïté et, par un cadrage encore plus serré, mettre l'accent sur le panneau en question mais aussi sur le nom de la rue par la plaque l'indiquant et que je révèle en ayant changé mon point de vue :

Quel est le chemin vers le paradis ?
Ici tout est bouleversé. À partir de la même matière que les images précédentes, j'ai maintenant complètement détourné le sens du panneau indicateur. La rue a disparu du cadrage, et ce panneau n'a plus d'autre référent maintenant que la verticalité de la flèche blanche et le nom de la rue : Rue du Paradis. L'aspect humoristique de l'image apparaît évident; la flèche indique où se trouve le paradis : en haut (l'ironie est complète quand on sait que les convois funéraires doivent emprunter cette rue).

Il est facile de comprendre cette transformation du sens par une analyse sémiologique de l'image. Le panneau indicateur a vu son référent se transformer en suggérant, par le cadrage, un nouveau référent qui n'était pas présent dans les premières images : la rue disparaît au profit de la plaque indicatrice du nom de la rue. Et l'on pourra en conclure, à bon droit d'ailleurs, que c'est en procédant par exclusion (ici, de la rue) et/ou par inclusion (ici, du panneau indiquant le nom de la rue), que l'image photographique attribue un nouveau sens au signe. Mais cette analyse demeure un peu courte, car elle ne permet pas de comprendre ce qui,  justement, nous intéresse ici, à savoir le fait que la fixation de l'image photographique est susceptible de donner un sens, ici un sens nouveau, à ce qui est photographié. C'est cette faculté de donner sens, cette aptitude à ce que les phénoménologues nomment la Sinngebung, que je voudrais approfondir avec vous.

Nul doute que photographier, dans sa pratique la plus ordinaire, consiste à se tourner vers le monde. C'est «dans» le monde que le photographe trouvera la matière à partir de laquelle il fixera ses images. Il faut donc commencer par comprendre ce qu'il faut entendre par monde.

Contrairement à ce que laisse entendre l'opinion courante, le monde n'est pas le simple ensemble des objets qui le constitue, pas plus qu'un tas de briques n'est une maison. Mieux encore, c'est la maison qui explique la raison d'être des briques, et non l'inverse. C'est du monde que procède le sens des objets qui le compose, et non l'inverse. Il sera donc vain de tenter d'expliquer le notion de monde à partir de ses objets. Je vais me régler ici sur l'analyse que propose le troisième chapitre de Sein und Zeit de Martin Heidegger (pp. 63 à 100 dans l'édition Niemeyer, Tübingen 1979).

Il faut donc partir du monde lui-même, puisque toute chose le présuppose. Cela vaut aussi pour nous-mêmes, qui existons, qui pensons et sentons. Quoi que nous fassions, nous le faisons dans le monde; ce dernier nous précède absolument toujours; et d'ailleurs, ne venons-nous pas au monde lorsque nous naissons? Nous sommes dans le monde de la même manière que les objets qui l'occupent.

Nous avons donc le monde «autour» de nous; nous dirons qu'il nous environne. Nous avons un monde environnant.. Mais il faut comprendre cet environnement comme ce qui nous préoccupe immédiatement. C'est le monde de nos préoccupations immédiates : ce qui me préoccupe, par exemple, c'est de lire ce texte à l'écran et non les lunettes qui sont sur mon nez, bien qu'elles soient plus proches de moi. Je me soucie de la misère d'un pays lointain, mais j'ignore dans quelles conditions vit mon voisin de palier. Ces choses immédiates, celles qui me préoccupent d'abord et avant tout, ont un caractère particulier qui font d'elles des choses pratiques, pragmatiques, ou encore, plus précisément, ce que les Grecs nommaient des πράγματα.


Une traduction possible de ce mot est celle d'«outil». Entendons cela dans un sens très large : non seulement l'objet que manie l'ouvrier ou l'artisan, mais aussi un journal, un train, une opinion ou un signe sont de tels outils. Un outil de cette nature implique une double référence : d'une part vers celui ou ceux qui le manipulent, mais, d'autre part, aussi vers d'autres outils. Un marteau réclame un clou, mais aussi le menuisier. Toute une trame de références multidirectionnelles et simultanées se tresse ainsi entre les choses, les outils plus précisément, et ceux qui les utilisent.

Tout outil inclut une référence à tout un système d'outils. Cette trame peut-être vaste, mais reste ordinairement inaperçu. Elle n'apparaît pourtant jamais aussi clairement lorsque l'outil nous fait défaut. J'ai un marteau mais son manche s'est brisé. Je ne peux donc achever ma tâche. La référence, implicite et inaperçue en temps normal devient ici évidente. Si le marteau me donnait le pouvoir d'enfoncer des clous, sa défaillance m'ôte soudain ce pouvoir. L'insertion de l'outil dans le monde surgit ainsi devant moi comme une nécessité que je ne peux surmonter. Et si j'ai à me rendre chez le quincailler pour me procurer un autre marteau, je rencontre un homme comme moi inséré dans la trame des objets du monde. Nous saisissons bien alors le monde comme ce référentiel total au sein duquel nous existons et que, par là, d'une certaine manière, nous comprenons.

Cette analyse, qui je l'espère, n'apparaît pas trop rébarbative, nous permet de mieux comprendre ce qui se passe quand l'on photographie, c'est-à-dire quand le photographe porte son appareil à l'oeil, vise, cadre, et appuie sur le déclencheur. Voyons cela avec le cadrage.

L'image est une fenêtre avons-nous vu précédemment. Le viseur délimite les limites du cadre : un dedans de l'image et un dehors qui doit nécessairement en exclure certains éléments. Si je photographie un signe — qui est un cas particulier d'outil — j'ai une compréhension du signe qui me renvoie vers quoi le signe... fait signe : son référent ou, pour parler le langage des sémiologues, son signifié (le signe lui-même étant le signifiant). Ce signifié peut être inclut dans l'image — c'est le cas de notre photo n° 2. Si j'exclus tout signifié, ce signe continue cependant à valoir comme ce pour quoi il est socialement définit. Mais si, comme dans la photo n°3 j'y fais apparaître un autre objet (la plaque portant le nom de la rue) je suggère un nouveau sens à ce signe, un nouveau référent (le paradis), un autre signifié.

L'acte photographique est un acte donateur de sens, ai-je dit. Pourquoi? Parce que la trame relationnelle des outils est entièrement déterminée par ce que nous, les hommes, les existants, en faisons. C'est notre insertion dans le monde qui fait que, ipso facto, les objets du monde prennent sens les uns par rapport aux autres et par rapport à nous. L'acte photographique est donateur de sens parce qu'ils s'adresse à des spectateurs qui ont une notion générale de la relation mondaine des objets qui composent le monde, parce qu'ils ont une compréhension du monde. C'est cette compréhension du monde que le photographe présuppose et manipule.

Que fait l'acte photographique pour arriver à ce résultat ? Il déchire la trame relationnelle ordinaire des objets mondains pour la recomposer ensuite selon une autre structure. Par le cadrage (déstructuration et restructuration spatiale) et l'instant du déclenchement de l'obturateur (cadrage temporel» qui fige l'action dans un présent définitif en abolissant la provenance passée et son devenir futur). Photographier, c'est recomposer le monde; c'est faire advenir un monde que la perception ordinaire ne saurait saisir. Photographier, en qu'acte donateur de sens, est un acte créateur. La question de savoir si la photographie est un art ou non est ici close.

Le photographe crée un monde. C'est évident par le bouleversement spatial qui recompose la relations des objets (des outils) au sein de l’image, c'est-à-dire du monde d'image. Cette recomposition est aussi temporelle. Quand la photo fige un mouvement, l'arrête dans une gestuelle incertaine et inattendue, c'est qu'il ôte à ce mouvement sa provenance et son devenir. Or provenance et devenir donnent sens au mouvement, car tout mouvement est un tout dans un certain laps de temps (il commence, s'accomplit puis s'achève). À le figer par l'image, le spectateur de l'image est forcé d'imaginer une provenance et un devenir à ce mouvement (puisqu'ils n'apparaissent pas dans la photo) et donc, à lui donner un sens selon des critères qu'il veut bien lui prêter.

On en reste là pour aujourd’hui. Je vais tâcher, dans de prochains messages, d'illustrer tout cela sur des cas concrets. Ou plutôt, on verra, à l'occasion de discussions sur divers thèmes, cette théorie trouver des cas qu'elle pourra éclairer judicieusement.

samedi 15 décembre 2012

L'image photographique

Toute réflexion sur la photographie — entendue dans son sens le plus large — doit se fonder sur la spécificité de l'image photographique. Si cela peut paraître un truisme, cela le devient beaucoup moins si l'on s'avise de poser la question de savoir ce qui, justement, fait la spécificité de l'image photographique. Et d'abord : a-t-elle seulement quelque chose de spécifique qui la distingue de la communauté des images en général? Et si spécificité il y a, en quoi consiste-t-elle?

En rédigeant ce message, je n'ignore pas, bien sûr, les textes de La Chambre claire (Gallimard/Seuil, Paris 1980) que Roland Barthes publia peu avant sa mort. Mais je voudrais reprendre cette question par l'autre bout de la lorgnette, celui par lequel Roland Barthes, de son propre aveu (Ibid. p. 24), ne pouvait l'aborder : celui de la photographie-selon-les-photographes. Nous allons parler ici de l'image photographique en tant qu'accomplissement d'un «acte photographique» qui reste par ailleurs à décrire (cela fera l'objet d'un autre post).

Une première approche du phénomène «image» nous impose déjà de faire une distinction importante. On doit distinguer, dans la communauté des images, les images «mentales» celles qui naissent de notre imagination, qui surgissent dans nos rêves, qui s'imposent à nous sous l'influence de certaines drogues... pour dire simplement, ce sont les images que nous avons «dans la tête» — des images «matérielles»; c'est-à-dire de celles qui coexistent avec la réalité concrète du monde éveillé, et qui exigent un «support» matériel, sans lequel elles ne sauraient subsister : les tableaux sur leur toile, les dessins sur le papier, la duplication du visible sur la surface des miroirs, les images photographiques... Autre particularité : les images dont nous parlons ici sont des images visuelles, c'est-à-dire des images — imago — au sens premier du mot.

C'est une aptitude bien singulière que de pouvoir distinguer, dans notre environnement visible, ces objets étranges que sont des images. Nous voyons un tableau, et savons bien que ce qu'il représente n'a pas de réalité immédiate : on ne peut pénétrer dans ce qu'il représente; on ne peut le toucher, le sentir; on ne peut croquer les fruits de la nature morte peinte avec habileté. On dira que ces images ne sont pas réelles? Mais alors, pourquoi disparaissent-elles si leur support est détruit? Nous ferons pourtant l'économie de l'analyse phénoménologique de la conscience d'image, car elle nous entrainerait bien au-delà de ce que ce blog se propose. Je ne peux que renvoyer à la littérature qui traite du sujet, notamment au texte Vergegenwärtigung und Bild d'Eugen Fink (un élève et assistant de Husserl), qui nous servira ici de fil conducteur.

Nous voyons une image et savons que ce qu'elle montre n'est pas réel. Mais ce qui fait que cette irréalité peut se manifester, est pourtant bien réel; son «support» est bien un élément de notre réalité. Mieux, sans cette réalité première, l'irréalité de l'image ne saurait émerger. L'image est une irréalité qui se donne comme déclinaison possible de la réalité. Elle est au pli qui sépare la réalité de l'irréalité; mieux encore, elle est ce pli lui-même. Comment le dire plus simplement? Toute image matérielle est comme une fenêtre inscrite dans notre réalité, mais qui ouvre sur un monde irréel. Ce qui fait l'essence d'une image matérielle, c'est sa «fenestrité», sa Fensterhaftigkeit.

Ombre fugitive. Aéroport de Zürich, 2009
  
L'image photographique est elle aussi une telle fenêtre, et une fenêtre qui ouvre sur un monde. Assurément, la spécificité de l'image photographique est à chercher non pas dans son caractère de fenêtre - qu'elle partage avec toutes les images matérielles - mais dans son monde propre, dans la manière dont elle le fait paraître, par la manière selon laquelle il se donne à nous, «conditionné» par la photographie.

Comment se forme l'image photographique? Des rayons lumineux frappent ou inondent un objet et se réfléchissent en se modifient de diverses manières sur celui-ci. Ces rayons peuvent être captés par un système optique — l'objectif de l'appareil — pour être focalisés sur une surface photosensible film ou capteur. Contrairement au peintre ou au dessinateur, dont le monde d'image naît de leur habileté manuelle, l'image photographique se fait «toute seule». Ce sont ces mêmes rayons lumineux qui révèlent l'objet qui permettent aussi l'enregistrement de son image. Est-ce là la spécificité de l'image photographique?

Non, pas encore, car l’œil fonctionne de la même manière (le cristallin est l'objectif et la rétine la surface photosensible), mais il ne fait pas encore de photos (c'est le rêve ou le fantasme de tout photographe : pouvoir saisir directement ce que l'on voit et, d'un simple clin d’œil, l'enregistrer aussitôt d'une manière ou de l'autre). Il y a pourtant déjà là une conséquence importante. Parce que les rayons lumineux qui éclairent l'objet sont aussi ceux-là mêmes qui en forment l'image, ils authentifient cet objet comme étant bien celui-là, là où il a été photographié (ou ayant été bien là...), du seul fait qu'on peut en percevoir l'image. Mais cela n'est pas encore le propre de l'image photographique : l’œil fait de même, mais aussi le miroir.

L'image spéculaire m'assure que ce que j'y vois — et à commencer par moi-même : me video ergo sum! — est bien réel pour seulement pouvoir s'y re-présenter. La question devient alors : qu'est-ce qui distingue l'image spéculaire de l'image photographique? La différence est évidente : le temps. L'image spéculaire reste inscrite dans le même flux temporel que l'objet qui s'y reflète. Le temps ou, plus justement, la temporalité, de l'image spéculaire ne se distingue pas de la temporalité du monde réel : si l'objet bouge, il bouge aussitôt, avec la même amplitude, dans le miroir. S'il disparaît, il disparaît aussi du miroir.

Photo d'une chambre dans un miroir, lequel forme tableau. Dudeldorf, Allemagne. 2011

Dans cette comparaison, nous tenons la spécificité de l'image photographique : la temporalité de son monde est un temps figé, fixé à demeure; son flux y est arrêté pour l'éternité. Aussitôt que le déclic de l'appareil se fait; l'objet peut disparaître, son image demeure. L'oiseau s'est envolé? — sa photo permet de le revoir. L'être aimé a disparu? — nous pouvons retrouver les traits de son visage. La spécificité de l'image photographique se trouve dans la temporalité propre de son monde d'image.

Mais si le temps de l'image photographique est un temps figé, la contemplation de ce type d'image entretient une dialectique complexe avec le temps du monde réel à partir duquel nous contemplons les photos. Au moment où l'image photographique a été fixée, le temps du monde réel, à la charnière duquel elle reste inscrite en tant qu'image matérielle, continue à fuir. À mesure que ce temps passe, l'image photographique s'y inscrit avec une profondeur temporelle qui va croissante et qui affecte la manière avec laquelle les contemporains du réel la perçoivent. Tâchons de conjuguer le temps photographique : la photo montre un monde qui a été, mais dont les spectateurs tardifs en connaissent pourtant le destin (que le photographe peut ne pas même soupçonner) : ils savent donc ce que monde aura été. Le temps de l'image photographique est un futur antérieur.

Résumons :

  • L'image photographique fait partie des images matérielles, inscrites dans le monde réel.
  • L'image photographique est une fenêtre qui ouvre sur un monde irréel.
  • Le monde irréel de l'image photographique est authentifié comme réalité initiale par le mécanisme de formation de l'image, par le biais d'une lumière commune à l'objet représenté et son empreinte sur la surface sensible (l'image photographique se forme de la visibilité même de l'objet qu'elle représente)
  • Mais l'image photographique arrête le temps (la temporalité plus précisément). Nous verrons ailleurs ce que signifie cet arrêt de la temporalité.
  • Elle témoigne du passé en le représentifiant constamment sur un mode irréel lié pourtant à la réalité. Son passé est constamment rendu présent, re-présentifié.
  • L'image photographique est la mémoire du temps.

Les roses fanent, image du temps qui passe. 2010
 
Restons-en là pour ce message aujourd'hui. Retenons cette particularité temporelle du monde de l'image photographique. C'est elle qui va permettre de comprendre comment ce type d'image est en mesure de donner sens à ce que l'on perçoit. Cela, c'est pour un autre chapitre. On me répondra peut-être que cette présentation de l'image photographique n'apporte rien qui soit propre à la façon de voir du photographe : je n'ai pas déduit la photo de l’expérience du photographe comme je le promettais. Peut-être; mais patience. Ceci n'est encore qu'un petit pas. Car l'expérience du photographe est précisément celle de la saisie du sens du visible dans et par la photo.

jeudi 13 décembre 2012

Post scriptum à «L'éloge de l'amateur»

Peu de temps après avoir rédigé mon post intitulé «Éloge de l'amateur», je feuilletai un livre consacré à Alfred Stieglitz que je possédais depuis plusieurs années déjà. Il s'agit d'une édition publiée dans le cadre d'une exposition rétrospective de son œuvre organisée conjointement par le National Gallery of Art de Washington, le Metropolitan Museum of Art de New York et The Art Institute de Chicago. (Alfred Stieglitz. Photographs & Writings. Callaway Editions, New York 1983).

J'avais consulté ce livre de nombreuses fois mais, mis à part la très intéressante introduction rédigée par Sarah Greenough (Alfred Stieglitz and "the Idea Photography"), je n'avais pas tant prêté attention aux écrits du photographe lui-même. Les relisant il y a peu, je ne peux m'empêcher de citer ici deux passages d'un article que Stieglitz publia dans la revue Scribner Magazine en 1899 sous le titre Pictorial Photography :

Let me call attention to one of the most universally popular mistakes that have to do with photography — that of classing supposedly excellent work as professional, and using the term amateur to convey the idea of immature productions and to excuse atrociously poor photographs. As a matter of fact nearly all the greatest work is being, and has always been done, by those who are following photography for the love of it, and not merely for financial reasons. As the name implies, an amateur is one who works for love; and viewed in this light the incorrectness of the popular classification is readily apparent [...].

Je rappelle que ce texte fut publié en 1899, et qu'à le lire aujourd'hui, on se prend à penser que, décidément, à part une évolution technologique extraordinaire, la photographie semble souffrir toujours des mêmes préjugés de la part non seulement du grand public, mais entretenus aussi par certains photographes. À lire les interventions dans certains forums consacrés à la photographie, et dans lesquels s'expriment, sous le couvert de l'anonymat, les opinions les plus bariolées, les plus fantasques, les plus extrêmes, les plus contradictoires — mais les plus sensées aussi, parfois... on retrouve les mêmes types de photographes tels que la suite du texte mentionné ci-dessus décrit deux paragraphes plus loin :

Nothing could be farther from the truth than this [la reconnaissance publique du professionnel comme gage d'images de qualité], and in the photographic world to-day [je respecte l’orthographe originale du texte] they are recognized but three classes of photographers — the ignorant, the purely technical, and the artistic. To the pursuit, the first bring nothing but what is not desirable; the second, a purely technical education obtained after years of study; and the third bring the feeling and inspiration of the artist, to which is added afterward the purely technical knowledge. [...]

Je n'ajouterai rien à ces deux extraits qui montrent combien l'histoire de la photographie, considérée du point de vue de sa perception populaire, ne suit pas le même rythme que son développement esthétique. Il n'y a pas eu Alfred Stieglitz.

dimanche 9 décembre 2012

Éloge de l'amateur

En 2007, un jeune auteur, historien et photographe tout à fois, en faisant des recherches pour illustrer un livre sur l'histoire de la ville de Chicago, tombe, lors d'une vente à l’encan, sur une caisse remplie de négatifs dont le vendeur ignore la provenance. Notre homme l'acquiert cependant en espérant y trouver quelques photos pouvant illustrer l'ouvrage qu'il se propose.

En scannant les négatifs, il découvre l’œuvre d'un street photographer qui le laisse pantois : la qualité des images ne laisse rien à envier à l’œuvre d'un Walker Evans, d'une Lisette Model, d'un André Kertész, voire d'une Diane Arbus. Il se met en quête de l'auteur de ses images. Non sans peine, il parvient à mettre un nom sur ces photographies : Vivian Maier. Nul ne sait qui elle est.

Conscient d'avoir découvert là quelque chose d'exceptionnel, il réussit à mettre la main sur l'ensemble des négatifs (dont nombre n'était même pas encore développé) alors qu'ils étaient sur le point d'être dispersés, et probablement définitivement perdus. Il édita quelques de ces images, et l'on sut alors qu'il fallait ajouter ce nom de Vivian Maier à ceux des plus exemplaires représentants de la street photography.

À force de recherches, l'on a pu éclairer quelque peu la personnalité de Vivian Maier, même si ce que l'on en sait aujourd'hui reste encore fragmentaire. On sait qu'elle est née en 1926 à New York d'un père autrichien et d'une mère française, et qu'elle passa une partie de sa jeunesse en France. C'est là qu'elle commença à photographier. Elle revint définitivement aux États-Unis en 1951 et pour y vivre, d'abord à New York, puis à Chicago, comme nurse. Elle passa toute sa vie ainsi à se soucier des enfants des autres, n'étant pas mariée elle-même et sans enfant. Durant ces quarante années, et jusque dans les années 90, elle ne cessa de photographier son environnement : petits événements de la rue, portraits d'enfants, de vieillards ou de laissés-pour-compte, de femmes de toutes conditions, ou d'autres curiosités. Tout au long de sa vie, elle ne montra aucune de ses images. Son œuvre, immense — plus de 100.000 négatifs laissés après sa mort , resta parfaitement inconnue, et le serait encore sans le flair de John Maloof (cf. www.vivianmaier.com/).

Touriste pour qui la qualité de l'image ne souffre aucun compromis. Bruxelles, 1981

Ce destin a quelque chose de bouleversant qui ne laisse pas d'interroger le sens de l’œuvre photographique en général. On ignore les raisons profondes qui ont pu faire que Vivian Maier ne voulut jamais partager ses images. On pense qu'elle ne se sentait pas assez sûre d'elle — ce qui étonne quand, d'un autre côté, par quelques extraits de sa voix enregistrée où elle s'exprime quant au sens de la vie, on se trouve devant une personnalité forte et originale, dont on a peine à croire qu'elle manquait d'assurance. La qualité des images qu'elle réalisa plaide aussi en ce sens. Quoi qu'il en soit, je voudrais partager avec vous ce que m'inspire ce destin exceptionnel.

Le destin de Vivian Maier est emblématique d'un certain rapport de la photographie d'amateur — ce que notre photographe était assurément, mais dans le sens le plus noble du terme — et celle du professionnel. S'il était vrai que c'est pour n'être pas sûre de la valeur de son œuvre qu'elle renonça à la partager, cette crainte a quelque chose de révélateur. Vivian Maier connaissait bien l’œuvre de ses pairs, comme en témoigne les livres de photographes connus qu'elle possédait. Elle ne semblait pourtant pas en mesure de situer sa propre démarche dans l'ensemble de la production photographique de son époque. Peut-être souffrait-elle du syndrome du disciple fasciné, qui n'ose comparer son œuvre à celle de ses maîtres qu'il égale pourtant. Un excès de modestie? Non pas. Plutôt un excès d'exigence envers soi-même : «je ne montre pas ce que je fais car cela n'est pas digne de mes maîtres». Mais bien sûr, ceci reste une hypothèse.

Or si l'on se penche sur l'histoire de la photographie, on remarquera qu'un tel destin, pour n'être pas aussi exceptionnel que celui dont nous parlons, se rencontre régulièrement au long de l'histoire de la photographie comme histoire du regard et conquête du photographiable. J'irais jusqu'au bout de ma pensée en disant que, sans l'esprit de l'amateur, la photographie n'aurait sans doute pas conquis ses lettres de noblesse en tant que moyen d'expression picturale. Il est facile de dresser une liste de noms qui furent autant de jalons dans l'histoire du regard photographique qui étaient ceux d'amateurs : Eugène Atget, Jacques-Henri Lartigue, Heinrich Zille, Robert Frank, Fred Herzog... jusqu'à celui du père de la photographie moderne : Alfred Stieglitz. Et quand des photographes commerciaux font œuvre originale, c'est en marge de leur travail rémunérateur...
 
Pourquoi cette préséance du photographe amateur, de l'amateur-artiste ? Il y a à cela deux raisons je pense. La première vient de ce que la technique photographique est, fondamentalement, à la portée de tous. Avec un minimum de savoir-faire et de connaissances techniques générales, quiconque est à même de réussir une photographie techniquement acceptable. Et c'est aujourd'hui encore plus vrai qu'il y a un siècle. L'autre raison — et celle-ci est plus fondamentale — c'est que l'amateur est débarrassé du souci de faire des images qui se puissent vendre. Cela implique une formidable libération du regard, qui peut être alors tout tendu vers l'originalité et l'expression d'un rapport au monde plus vrai, plus immédiat, plus sincère, lequel n'a tout simplement pas sa place dans la photographie professionnelle.

Toutefois, fera-t-on remarquer, peu d'amateurs furent à l'origine d'un renouvellement ou d'une progression du regard photographique. Des millions de photographies qui se font aujourd'hui chaque jour, combien d'entre elles peuvent prétendre à une valeur artistique réelle et originale? Le volume de déchet est affolant, même si l'on peut espérer que de cette masse d'images anonymes, quelque Vivian Maier pourrait peut-être en émerger un jour. Peut-être, mais ce qui est sûr, c'est qu'il ne suffit pas de se proclamer amateur-photographe pour pouvoir revendiquer, de ce fait même, un statut de créateur dans l'ordre de l'esthétique photographique. Si l'histoire de la photographie enseigne combien elle doit à l’œuvre d'amateurs, elle enseigne aussi que ceux-là étaient des personnalités elles-mêmes fortes et originales. La différence se marque en ce que les amateurs de tous les jours, les photographes du dimanche, les photographes de ce que j'appellerais l'occasion du «photographiable obligatoire» — les vacances, la communion du petit, l'anniversaire de tonton Louis, le clebs-qui-boulotte-le-doudou-de-Juju — pratiquent une photographie entièrement calquée sur ce que, socialement, on définit comme ce qui est permis — et peut-être même obligatoire — de photographier : infinie répétition du déjà-vu. Ou alors les passionnés, les experts, les enthousiastes qui veulent faire comme les «pros» — et s'échinent à reproduire, tant bien que mal, ce que les pros font : inlassable répétition du déjà-vu.

Autoportrait. Paris, 2012

Pour que l'amateurisme puisse porter la fécondité d'un regard neuf, il y a, à mon sens, quatre conditions qui doivent être respectées :
  1. se déprendre de l’idolâtrie technique qui pollue trop les préoccupations des amateurs un peu exigeants. Ils possèdent un enthousiasme certain pour la photographie, mais semblent ignorer que ce qui compte, ce sont les images plus que les moyens mis en œuvre pour les obtenir. C'est ce que j'ai appelé ailleurs les tristes enthousiastes de la technomanie. Si la photographie n'intéresse que par les objets techniques — certes remarquables — qu'elle propose, il y a fort à parier que, pour ceux-là, elle ne se réduit qu'à des prouesses techniques. C'est une vision extrêmement stérile de la photographie. Les meilleures œuvres de la photographie, pour la plupart, n'ont exigé que des moyens techniques réduits;
  2. se déprendre de la référence fascinée aux professionnels. Les photographes professionnels doivent vivre de leur photographie. Leur définition de l’œuvre photographique est dictée par les catégories du vendable et du non-vendable. Là aussi c'est une définition du photographiable étrangère à la photographie qui est à l’œuvre. Un professionnel, aujourd'hui, apporte peu au regard photographique. Quand il le fait, c'est alors par une pratique de la photo en marge de son activité rémunératrice;
  3. se déprendre, par conséquent, de la définition sociale de la photographie, qui impose des règles à la pratique de la photographie — où, quand et quoi photographier, qui soit socialement «correct» — et qui stérilise d'autant plus efficacement le regard qu'elle rejette toute démarche originale qu'elle ne peut considérer comme adéquate à sa définition de la photographie. Le social dicte — c'est un diktat! — l'enfermement du photographiable dans le socialement correct;
  4. disposer d'une grande culture, visuelle surtout, mais aussi générale, à partir de laquelle il pourra décider de ce que sa propre démarche apporte d'original ou de neuf au regard photographique. Alors il pourra confronter sa vision avec celle de ses pairs. Cela réclame non pas tant du courage qu'une forte conviction que ce que l'on fait est valable. C'est peut-être là, comme je le suggérais il y a peu, que Vivian Maier à échoué de son vivant.
Peut-être le temps est-il venu de risquer d'écrire une histoire de la photographie dans la perspective de l'amateur tel que je l'ai décrit ci-dessus. Qu'elle soit l’œuvre d'historiens de l'art, ou de critiques, voire de photographes eux-mêmes, cette histoire, à ce jour, me semble-t-il, ne fait pas assez cas de l'amateur. Écrire une telle histoire serait enfin écrire l'éloge de l'amateur. Le destin de Vivian Maier en constituera assurément un chapitre révélateur.


La porteuse de message. Bruxelles, 1982

samedi 1 décembre 2012

Une certaine idée de la photographie

"La photographie est une preuve suffisante contre la forme la plus grossière de l'idéalisme".

Le mot est de Nietzsche. Il est peu connu; il faut l'exhumer des fragments posthumes de l'année 1884 pour le trouver. Ensuite, il faut apprendre à l'entendre. Il est riche de sens et lourd de conséquences - mais s'attendait-on à autre chose de la part du solitaire de Sils-Maria?

Ce blog s'adresse à ceux que la photographie passionne. Mais entendons-nous, car il y a de nombreuses façon de se passionner pour la photographie. On peut être passionné de photographie et ne parler que d'appareils, d'objectifs, de logiciels, de traitement d'image, de photoshopping, et de "Canikon-meilleur-que-Nikanon", etc... Cela est pour les tristes enthousiastes de la technomanie. Apparemment, ce sont les plus nombreux; les πολλοι comme disait Héraclite. Leur passion ne m'intéresse pas.

Mais il y a aussi ceux qui n'entendent peut-être rien à la quincaillerie, mais qui peuvent parler d'images comme peu d'entre nous le pourrait. On y trouve les critiques d'art, les collectionneurs, les commissaires d'exposition, les photographes eux-mêmes, et les artistes d'autres disciplines. Des penseurs parfois aussi. Nietzsche peut-être, bien qu'il ne nous dit rien de plus sur la photographie que son temps a pourtant vu venir à maturité. Mais plutôt Roland Barthes, et Gisèle Freund. Walter Benjamin aussi. D'autres encore. Nous leur prêterons une oreille attentive.

Il y a enfin ceux pour qui la photographie est un plaisir et une nécessité : le plaisir de saisir des images, le plaisir de les contempler. Des hommes et des femmes mus par la nécessité presque obsessionnelle d'enregistrer leur environnement, l'appareil toujours à portée de main. Une obsession à voir, et à figer pour l'éternité ce qu'une fugace conjonction d'événements visibles révèle soudain comme un sens inattendu ponctuant le chaos du monde : l’émergence du photographiable est leur champ d'intérêt.

C'est de ceux-là dont je fais partie; c'est cette expérience de la-photographie-selon-le-photographe que je voudrais partager avec vous. Ce blog se veut un espace de réflexion sur la photographie vécue par les photographes, un espace où s'échange la passion pour l'image photographique.

Jiashan, Chine 2010


Qu'il me soit permis ici, d'entrée de jeu, de parler brièvement, et pour cette seule fois, de moi-même. Cela aidera à comprendre le sens de ma démarche.

Je suis né en 1956 à Bruxelles. De 1976 à 1978 j'y ai suivi des cours de photographie dans une école supérieure. Je me destinais, pensé-je alors, à devenir un photographe professionnel. De fait j'ai été en contact avec la profession. Guère longtemps, il est vrai. Mais assez pour comprendre que je m'y fourvoyais : je ne me retrouvais pas dans ce que l'on exigeait de moi comme photographe professionnel. Un photographe professionnel est une personne qui tente de vivre de la photographie. Cette dernière lui est donc un moyen, un moyen pour gagner de l'argent. L'argent est son obsession, et la photographie l'instrument de cette obsession. J'ai une tout autre conception de la photographie.

Cette difficile période m'a pourtant laissé assez de loisir pour pratiquer une photographie qu'aujourd'hui encore je prends grand plaisir à pratiquer. Je découvris dans un magazine spécialisé - nous sommes en 1977 - les images du photographe américain Jay Maisel. Ce fut comme un choc et une révélation : "voilà les images que je veux faire". Elles semblaient s'imposer à moi avec une telle charge d'évidence qu'un moment je crus qu'elles étaient miennes. C'est un sentiment fort bizarre de voir dans l’œuvre de quelqu'un d'autre cela que l'on croit pouvoir faire soi-même. Ce fut aussi une puissante motivation. A partir de ce jour, je chargeai mes appareils de Kodachrome, et parcourus les rues de Bruxelles à la recherche de ces images que Jay Maisel, à New York, dégageait de sa ville natale et de résidence.

Bruxelles. 1977

Je me trouve donc, en tant que photographe, à la croisée d'une tradition que l'on nomme street photography - sans pour autant m'y cantonner - et d'une passion pour la couleur, la lumière, la gestuelle. La couleur est ce qui me fascine le plus dans la photographie, car elle est par excellence l’éphémère le plus subtil à saisir dans ce que le visible nous donne à voir. Peut-être ce qu'il y a de plus difficile à voir et, encore plus, à saisir, Mais aussi ce qui peut être à la source d'un intense plaisir à la contemplation de l'image. Et puis la couleur est plus riche, plus descriptive - c'est une masse d'information supplémentaire : il suffit de comparer la taille des fichiers image pour s'en convaincre.

Que cela ne soit pas pris pour un rejet de l'image noir et blanc. J'y ai aussi trouvé mes maîtres à voir. En 1983 je visitai l'exposition rétrospective de l’œuvre d'Henri Cartier-Bresson de passage à Bruxelles. Je retournai à la photographie noir et blanc pour un temps. L'image couleur me laissait sur une frustration : celle de n'en pouvoir faire des tirages papier de qualité. Mais aussi parce que je ne pouvais plus me payer les rouleaux de Kodachrome soudainement hors de prix suite à une perverse spéculation sur le cours de l'argent.

Tübingen, Allemagne. 1984

En 2009, je me converti à l'imagerie numérique. Cette technologie changea complétement la donne. Non seulement elle permettait d’éviter la chambre noire et la chimie pour faire des tirages couleur de qualité, mais elle permettait en outre d'éditer et de diffuser ses images avec une facilité ahurissante - ce blog en est le témoin.

La philosophie fut une autre passion que je cultivai alors - et cultive toujours - parallèlement à la photographie. Je ne m'étendrai pas sur cet aspect des choses; il faudrait que je crée un autre blog pour cela. Mais sachez que la phénoménologie, cet art de penser fondé par Edmund Husserl dès 1900, a profondément affecté ma façon de voir. Elle m'a littéralement enseigné comment voir. La Phénoménologie de la Perception de Maurice Merleau-Ponty fut un de mes livres culte quand je commençai à photographier. Il n'est pas nécessaire de l'étudier in extenso pour saisir cet aspect de ma façon de voir les choses. On peut se contenter d'en lire lentement, ouvert à chaque phrase, attentif à chaque mot, son extraordinaire avant-propos.

Il est temps de conclure cette page du blog, à la fois sorte d'introduction rétrospective et balise pour une réflexion que j’aimerais mener avec vous. Il faut toutefois que je vous mette en garde : ce blog sera tenu de manière irrégulière et informelle. Je n'ai pas le loisir de passer des heures, chaque jour, devant un écran d'ordinateur. Je préfère les consacrer à la prise de vue. Selon mes disponibilités et mon humeur, peut-être s'enrichira-t-il progressivement d'images et de réflexions qui, je l’espère, sauront vous inspirer.

dimanche 25 novembre 2012

Voyager, ou apprendre à voir

Les photographes expérimentés aiment troubler l'esprit des néophytes en affirmant pouvoir créer une œuvre photographique sans sortir de chez eux. "Il suffit de regarder autour de soi" affirment-ils. Et les béjaunes de s'en trouver tout confondus d’admiration et confits de doutes. Car à s'essayer à cet exercice délicat, beaucoup échouent.

L'art de la photographie est le développement, l’épanouissement et l'exercice du regard. Et n'est rien d'autre que cela. Après, la vitesse de l'obturateur, la focale de l'objectif, les ISO, l'ouverture, etc. sont pure intendance, joyeux vacarme des casseroles, louches et timbales que l'on remue pour élaborer quelque chose où tout cela doit s'oublier : le met raffiné qui flatte le palais.

Développer le regard est ce qu'il y a de réellement difficile en photographie. Je ne crois pas qu'aucune école l'enseigne vraiment. Il y a à cela une raison simple : la plupart ignore ce qu'est le regard. Peut-être seul Alexey Brodovitch, qui invitait ses élèves à regarder autour d'eux au travers d'une ouverture rectangulaire découpée dans un carton, s'est-il approché le plus de ce que pourrait être un tel enseignement.

Je vais essayer, au travers de quelques messages éparts et approches incidentes, par quelques touches successives, de définir ce qu'il y a de réellement spécifique dans le regard photographique. Je ne voudrais pas me lancer ici dans une analyse phénoménologique systématique qui aura sans doute pour premier effet de faire fuir mes lecteurs. Mais la démarche restera néanmoins résolument phénoménologique car elle s’appuiera chaque fois sur l'expérience vécue de la découverte du photographiable dans le monde.

Voici donc nos néophytes, l'appareil à la main, tournant désespérément en rond, cherchant vainement quelque chose à se mettre sous l'objectif. Pour beaucoup, leur environnement familier leur semble par trop banal, uniforme, sans relief et ennuyeux à force d'avoir été vu et revu. Ils ont l'impression qu'en le photographiant ils ne pourront que répéter ce "déjà vu" avec la même platitude et le même ennui.

Pourtant, à l'observer patiemment, on verra que, par exemple, une lumière particulière suffit à transformer cette banalité en événement ou scène singulier, suffisamment singulier pour qu'il s'impose à l’œil comme quelque chose qui doit être photographié. Un déclic s'est produit qui n'est pas seulement celui de l'obturateur.


Lampe de chevet. Xanten, Allemagne. 2011


Ce petit événement, ce petit choc, ce petit déclic, aura suffit à transformer notre appréhension du quotidien ordinaire. L'espace d'un instant, nous avons su découvrir dans cette gangue amorphe l'or pur d'une beauté fugace. Vladimir Jankélévitch a ainsi écrit un texte remarquable dans le cadre d'une analyse fouillée de la conscience d'ennui, c'est-à-dire d'une conscience trop obnubilée par le quotidien pour s’ouvrir encore au monde et pouvoir s'étonner. Ce texte semble s’adresser tout particulièrement aux photographes : "Tous les hommes n'ont pas la curiosité, la sympathie, l'ouverture nécessaire pour accueillir ainsi la plénitude concrète des qualités; seules les natures artistes savent faire apparaître l'invisible et mettre au jour les provisions inépuisables de drôlerie ou de beauté que recèlent les humbles choses; la banalité même se fait émouvante, et nous découvrons, à notre tour, tout ce qu'un œil exercé peut trouver de prétextes à rêverie dans la quotidienneté : un coin de rue au fond de quelque banlieue phtisique, une cheminée d'usine, un pauvre mur comme tous les murs... rien n'est si navrant qu'on ne puisse encore y découvrir l'or de la poésie." (Vladimir Jankélévitch. L'aventure, l'ennui, le sérieux. Paris 1963, p. 159).

Les occasions de se trouver le regard complètement fermé ne sont que trop nombreuses et ordinaires. Quand je commençai à photographier en couleur, cherchant dans les rues de Bruxelles, le regard encore tout ébloui des images de Jay Maisel que je venais de découvrir, ces mêmes expériences que le photographe new-yorkais avait éveillées en moi, je revenais souvent bredouille. La raison en était qu'à force de chercher autour de moi les images de Jay Maisel, je ne pouvais voir toutes les autres qui se manifestaient aussi. J'appris peu à peu à vider mon esprit de ces références trop bruyantes pour percevoir le léger chuchotement de ce qui n'a pas encore été entendu.

L'ouverture du regard, qui doit pouvoir extraire du banal la beauté qu'il recèle, repose souvent sur une expérience ainsi révélatrice, suffisamment forte pour qu'elle nous transforme assez en profondeur, tant et si bien que notre façon de voir le monde s'en trouve bouleversée. C'est en effet une "révélation" que nous avons à vivre. Voyager au loin, vers des horizons lointains et des cultures étrangères, donc étranges, fait partie de ces expériences transformantes.

On trouvera ci-dessous quelques pages d'un petit livre, L’œil en Chine, que j'ai confectionné à partir d'images réalisées lors d'un voyage en ce pays. Ce fut une expérience régénératrice qui a été à l'origine d'une nouvelle impulsion pour mon regard photographique. Je voudrais partager cette aventure de l’œil avec vous, comme une sorte de travail pratique dans le cadre de ce qui a été dit ci-dessus.

Ce que j'ai photographié à cette occasion, c'est la banalité quotidienne de la vie et de l'environnement des Chinois. Pour moi, jeté en ce monde si étrange, tout était prétexte à être photographié. Au retour, j'appris à mieux me mettre dans la perspective de l'étranger qui visite notre propre environnement, s'insère dans notre propre banalité quotidienne et la révèle dans une dimension que nous ne lui soupçonnions pas. Là il s'avère que pour lui, dans cet ennui qui est le nôtre, tout est pourtant prétexte à s'émerveiller.



Notez que ce livre est disponible à la vente par le biais du lien proposé ci-dessus. Il fait quelques 80 pages et contient 37 photographies (seules 9 sont montrées ici). Une version papier et une version pdf peuvent en être obtenues.

samedi 24 novembre 2012

La mémoire du temps

La Mémoire du Temps - ou Memory of Time en anglais - est le titre de ce blog que je propose à tous ceux que la photographie passionne.

Mémoire du temps, telle est la fonction essentielle de la photographie dans notre monde. C'est un instrument qui se révèle d'une extraordinaire résistance à l'oubli, plus que ne le peut le texte. En effet, l'image photographique s'adresse à l’œil; c'est une mémoire visuelle, elle montre ce qui fut, et atteste ce que cela aura été.

J'ai donc ouvert ce blog pour parler de la photographie telle qu'elle se présente comme élément de notre culture - la culture des sociétés industrielles et technologiques - et en tant qu'elle est en mesure d'influencer cette culture elle-même.

L'ambition est ici de proposer une réflexion sur la photographie telle qu'elle est vécue par ceux-là mêmes qui la pratiquent : c'est-à-dire les photographes.

Cette réflexion se fera par le biais de posts centrés sur un thème précis, révélateur d'un aspect de la photographie. Je ne prétends pas épuiser le sujet, et pas même de poster ces réflexions à intervalles réguliers. Les commentaires éventuels qu'ils susciteront pourront toutefois, à leur tour, alimenter la réflexion ou la porter vers de nouveaux sujets.

Ce blog est écrit en français, car c'est ma langue maternelle. J'avais songé un moment de l'écrire en anglais, afin d'en accroître la portée. Mais cela aurait eu pour effet, je le crains, de porter la réflexion dans l'écrasant champ linguistique anglo-saxon en excluant ainsi d'autres espaces linguistiques.

Mais comme il ne faut pas être français pour pouvoir lire le français, peut-être aurais-je le plaisir de lire des commentaires de personnes appartenant à d'autres espaces linguistiques. Que si l'expression en français devait présenter pour elles un obstacle, qu'elles sachent qu'elles peuvent s'exprimer dans une ces autres langues que je suis moi-même en mesure de lire, à savoir l'anglais, l'allemand, le néerlandais ou l'espagnol.

Et puisque je suis moi-même photographe, je ne résisterai pas au plaisir de partager avec vous quelques de mes images, pour lesquelles j'attends aussi commentaires et critiques.

Voilà, c'est parti! Bon vol, le blog...

Envol à l'aube. Bruxelles, 2009


A bientôt sur la toile...