Rue
Dansaert, 2011
LES
ENCORNÉS DE LUMIÈRE
Tout grande métropole se doit
d'avoir son avenue consacrée à la mode et aux boutiques de luxe.
Düsseldorf a sa Königsallee, New York sa 5th Avenue,
Paris ses Champs Élysées. Bruxelles a sa rue Dansaert. Deux cents
mètres, trois cents tout au plus, non loin du centre historique.
Immeubles du XIXe
siècle dans un quartier qui n'a rien de luxueux. Sauf ces
quelques boutiques qui peinent à conférer du prestige à une rue
qui n'en a jamais eu. Recherche de la présentation raffinée et de
l'étalage séducteur, sobre mais original. L'élégance doit
supplanter l'ostentatoire ; le tapageur y est mal vu. Il s'agit
ici de mettre des œuvres couturières en évidence. « On fait
de l'Art ici, Monsieur ».
Le photographe ne les voit pas de
cette manière. Depuis Atget, les étalages et devantures des
boutiques n'ont eu de cesse de fasciner les photographes. C'est
qu'ils y trouvent un microcosme porteur d'images que le monde de la
rue n'offre pas aussi aisément. Sur quelques mètres carrés toute
une humanité inerte faite de mannequins figés, s'expose
complaisamment. Une humanité excentrique souvent, sinon
extravagante, mais docile en son immobilité, porteuse d'une gesture
qui rappelle celle des vivants. Elle est comme la caricature de la
comédie urbaine qui se déroule dans les rues de la ville.
Pour le commun des badauds, qui
s'arrête devant la vitrine, n'observant que la tenue magnifiée par
le mannequin, cette duplication du monde humain n'apparaît pas. Le
photographe, voyeur dévergondé et insolent, le regard déformé par
son insatiable quête du rare, de l'étrange, du drôle, de
l'original, sinon du sordide ou du dramatique, jouissant à exalter
le ridicule – tels sont les noms du « Beau » en
photographie –, va à l'encontre de ce que le chaland appâté se
contente de voir, le nez collé sur la vitre. De l'autre côté de la
rue, armé d'un téléobjectif, le photographe n'a vu de ce
présentoir que deux encornés de lumière.
Il te reste, toi qui patiemment
contemple mes images, d'en raconter l'histoire.