samedi 21 novembre 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – cinquante-deuxième semaine

 

Tour et Taxi, 2015


INVITATION AU REPOS

 


Après ce long périple bruxellois, après toutes ces heures de marche dans les rues de la ville, durant lesquelles vous m'avez fidèlement accompagné, voici venu le moment du repos. Dans l'ancienne gare de marchandises de Tour et Taxi, récemment reconvertie, vous trouverez de ces fauteuils et canapés aux capitons accueillants qui n'attendent que d'envelopper nos corps las. Asseyons-nous, et laissons-nous aller à la rêverie.

Que retenir de cette année de pérégrinations urbaines et de la collecte de photographies qu'elle suscita ? Que la ville – Bruxelles, ou toute autre de quelque importance – est comme un inépuisable réservoir d'images qui s'offrent pour qui sait les voir. À tout instant elles surgissent, se multiplient, se métamorphosent, puis disparaissent. Souvent, elles n'ont pas de témoins. Le passant ordinaire, absorbé dans ses soucis du jour, ne les voit pas. Il ne les voit pas car elles ne lui sont d'aucune aide. Il faut l'œil du photographe pour les apercevoir.

Nous n'entrons en relation avec les choses qu'à la mesure et selon la nature de l'intérêt que nous leur portons. L'agitation de la ville s'éprouve communément comme un vaste et mouvant chaos dans lequel les événements ne prennent sens qu'isolés de ce contexte qui tend à les ignorer ou à les nier. Là s'impose la tâche majeure de la photographie. C'est notre attitude envers le monde qui manifeste la signification des choses, de leur présence et de leurs interactions. C'est parce que nous nous sommes ouverts à leur pur paraître que nous avons pu les voir comme porteuses de sens et dignes d'intérêt. Il nous a fallu, à chaque fois, rompre avec la quotidienneté du regard ordinaire, qui arase tout relief et signifiance, pour éprouver cet étonnement virginal par lequel les choses se révèlent enfin telles qu'elles sont en elles-mêmes.

Et comme la fatigue alourdissait nos jambes, ces fauteuils disposés çà et là dans la gare de Tour et Taxi, échouage de nos interminables maraudes, nous attirent vers eux d'un ton bienveillant. Ils invitent au repos en offrant généreusement leur galbe rembourré. Mais je n'oublie pas encore que je suis photographe. Avant de m'asseoir, je n'ai pu laisser de m'étonner de leur présence incongrue dans ce lieu improbable, et n'ai pu rester sourd au cri strident du rouge écarlate de l'un d'eux réclamant mon séant. Le désir d'image était plus fort.

samedi 14 novembre 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Cinquante et unième semaine

 

Belgian Pride Parade 2017


BICHROMATISME

 



Un des paradoxes de la photographie couleur est de nous avoir appris que l'image n'a jamais autant de force que la palette des couleurs mise en œuvre est la plus limitée possible. La sobriété des moyens est une vertu ; la bigarrure chromatique du coloriage.

Rencontrer un visage souriant, c'est faire l'expérience de la chaleur humaine ; les tons chauds lui conviennent. Comme ici : une carnation un peu hâlée (maquillée?) et des cheveux (teints?) qui lui répondent. Il se crée par là une proximité, de la complicité, l'envie d'embrasser. Dans l'opposition à son environnement, cette impression se renforce encore ; ici, avec les accessoires vestimentaires unis dans la couleur bleu clair. Le bleu, ton complémentaire à celui du visage, évoque le froid, l'indifférence et l'éloignement. Mais, par cela même, met tout aussitôt ce visage en valeur : on ne voit plus que lui.

Deux couleurs seulement suscitent toute la résonance émotionnelle avec laquelle nous appréhendons cette photo. Ce n'est pas une image monochrome, mais à peine plus : du bichromatisme. Toute sa force est là, dans l'économie des moyens. Je prie tous ceux qui estiment que la photographie couleur n'est que coloriage de bien vouloir considérer cette photo : qu'éveillerait-elle en nous si elle était en noir et blanc ?

samedi 7 novembre 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Cinquantième semaine

 

Zinneke Parade 2018


LE SIPHOPHONE

 


S'il fallait trouver une image symbolisant la Belgique en ce qu'elle a de plus génial et de plus pittoresque à la fois, pourquoi pas cette photo ?

Car il n'y a qu'en Belgique qu'une telle image pouvait être saisie. Elle associe son génie inventeur, celui d'Adolphe Sax en l'occurrence, avec l'inévitable et typique boisson nationale. On sait que les cuivres sont des instruments que l'on peut jouer bouchés à l'aide d'une sourdine ; on ignore par contre qu'en Belgique on bouche aussi les saxophones avec une canette de bière.

Et puisque la forme de l'instrument évoque irrésistiblement l'idée de siphonner de la bière, je propose de nommer cette combinaison un siphophone.

samedi 31 octobre 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Quarante-neuvième semaine

 

Boulevard Pachéco, 2019


L'IMPACT


La ville moderne a troqué la pierre contre le verre. Elle a ainsi rendu à la lumière une liberté qu'elle lui avait jusqu'ici obstinément refusée. Les murs se sont faits vastes fenêtres dans lesquelles jouent la transparence, les reflets et les scintillements, rendant la ville étincelante. Finie l'intransigeante opacité des murs gris ; voilà l'impudique transparence des parois de verre.

Mais cette conquête s'est faite au prix d'une sournoise fragilité. Ce que l'on croyait encore en mesure de nous protéger ne résiste que médiocrement à la pierre qu'un bras vandale aura lancée de toute force. L'impact est grossier mais il déploie une myriade de fêlures qui fuient en éventail, offrant à la lumière de ce jour gris l'aubaine de s'affirmer quand même. L'impact aura ennobli le verre trop lisse.

Un graffiti au jaune provocant finit de déchoir la paroi meurtrie, et dans cet accouplement inattendu du choc et du graphe, laissant se deviner la silhouette des bâtisses proches, se révèle une allégorie que le photographe se devait de fixer. La valeur d'une photo n'a pas de morale.

samedi 24 octobre 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Quarante-huitième semaine

 

Rue de la Régence, 2019


DÉCEPTION

Bras ballants, il semble contempler les façades de la Cour de comptes que réfléchissent les portes vitrées des Musées royaux des Beaux-Arts. Le musée est fermé.

Il ne jouira pas de la douceur du trait de Memling ; il ne se laissera pas aller à la fascination devant l'univers fantastique de Jérôme Bosch. Il ne participera pas aux scènes vivantes et populaires de Brueghel l'Ancien. Les carnations opulentes de Rubens ne s'offriront pas à ses délices, pas plus que le dessin nerveux de Jordaens ne l'émerveillera. L'élégance des portraits de Van Dijck se soustraient à son admiration.

Et toute sa déception se lit dans son attitude désemparée, dans cette gesture de la frustration – c'est un rendez-vous manqué. Son attitude corporelle le trahit et le photographe qui passait par là n'aura pas manqué de la saisir subrepticement. Mieux que par un entretien en tête-à-tête, la photographie tire des aveux à l'insu de ceux-là mêmes qu'elle surprend.

samedi 17 octobre 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Quarante-septième semaine

 

Grand Place, 1983


VADE RETRO


« Vade retro monstrum diabolicum, opus maleficus, uter mali ! », s'écrie Saint Michel posté au sommet de la tour de l'hôtel de ville.

Le voilà fièrement dressé, l'épée au clair, hardi et un peu crâne quand même, prêt à en découdre avec le hideux cigare volant, décidé à le percer s'il s'approche trop, et déjà satisfait de le voir s'affaler, flasque et inerte, sur les toits et les rues de la ville.

On prête aux héros et aux saints un courage extraordinaire quand ils font face à des dangers non moins extraordinaires, mais aussi imaginaires le plus souvent. Saint Michel fut dressé au sommet du beffroi afin de célébrer sa victoire sur le Malin et ainsi protéger la ville. Pouvait-on alors imaginer qu'il dût un jour se dresser devant une des ces créations fantastiques et inquiétantes issues de l'imagination et de la technique humaines ? Saint Michel nous apprend à nous défier aussi des hommes et de leurs entreprises hasardeuses.

samedi 10 octobre 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES — Quarante-sixième semaine

 

Rue Vautier, 2011


LA CAVERNE

Le livre VII de La République de Platon s'ouvre par la description d'une étrange scène que l'on a coutume d'appeler le « mythe de la caverne ». Je ne sais si ce texte constitue un mythe à proprement parler, mais il est certainement devenu un texte mythique de la philosophie. D'aucuns le considèrent comme fondateur de l'idéalisme.

Le thème en est bien connu : des hommes enchaînés dans l'obscurité d'une caverne ne peuvent percevoir, sur la paroi qui leur fait face, que l'ombre des objets qui passent devant une source de lumière disposée à l'entrée de la caverne. Une sorte de vaste lanterne magique en quelque sorte.

Ce spectacle étrange qui se déploie devant les yeux de ces malheureux prisonniers est représenté par cette photographie. Les ombres qui se détachent sur le mur ne sont pas les objets réels – les « idées » – qu'elles représentent. Pourtant, sans eux, pas d'ombre portée. Tout ne serait-il donc qu'illusion dans cette photo ? Non, car il s'y trouve une réalité directement représentée, essentielle, de même nature que celle des objets projetant leur ombre. Cette réalité immédiate est celle du mur sur lequel les ombres se projettent et sans lequel elles ne pourraient être perçues.

À cela, Platon n'a pas pensé. Première fissure dans l'édifice platonicien. Et notre philosophe a oublié autre chose encore. Pour décrire une telle scène, il faut un regard qui la perçoive. Regard lui aussi non moins réel que les objets originaux. Ce regard est ici, en l'occurrence, celui du photographe. Et nous voilà projeté auprès de Descartes : je photographie, donc je suis. Deuxième fissure dans l'édifice platonicien.

En 1884 Nietzsche écrivait : « La photographie est une preuve suffisante contre la forme la plus grossière de l' “idéalisme” ». Ou la photographie élevée au titre d'argument philosophique.

samedi 3 octobre 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Quarante-cinquième semaine

 

Vue prise de l'avenue Fonsny, 2018


TOUR DES BRUMES

 



La Tour du Midi est plantée telle un pieu fiché au cœur du tissu urbain qu'elle domine de ses 148 mètres. La gare du Midi lui sert de socle. Pur produit de la gabegie urbanistique qui caractérise Bruxelles, elle en est néanmoins devenue comme un repère qui en jalonne le paysage, et marque l'extension méridionale du skyline bruxellois.

J'ai des dizaines de photos de cette tour, prises de divers points de vue, saisies à de nombreux moments étalés sur quarante années, sous autant de lumières différentes qu'il y a eu de jours où je l'ai photographiée. Je pourrais en faire tout un portfolio, un livre presque. Et je n'ai pas fini...

C'est son incongruité dans cette partie sud de Bruxelles qui frappe, comme un totem d'acier et de verre planté au centre d'un village qui feint de l'ignorer, comme un corps étranger que l'on tolère sans chercher à l'extraire. Elle abrite l'administration fédérale des pensions ; aussi l'appelle-t-on « la tour des pensions ».

Sa hauteur semble jauger l'ampleur de sa tâche, en toiser tout le vertigineux. Elle se perd dans la brume de l'hiver comme notre fin de vie paraît s'estomper dans l'indécision d'un brouillard toujours plus épais, toujours plus obscur.


Écrit le jour des morts 2019.

samedi 26 septembre 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Quarante-quatrième semaine

 

Place Rogier, 2018


LES EXISTENCES MORCELÉES

 


La vie urbaine est faite de solitudes juxtaposées. Dans les rues de la ville nous côtoyons nos semblables sans les connaître, sans même éprouver le désir de les connaître. Tout au plus rassemble-t-on autour de soi les membres de la cellule familiale, quelques collègues de travail, quelques rencontres fortuites et passagères. Une population urbaine est un magma fait de molécules inertes.

Cette photo suggère cette réalité. Deux hommes assis dans une aubette attendent et discutent. Le verre de la paroi a éclaté (défaut ? accident ? vandalisme ?) morcelant l'image et rendant ces deux existences comme morcelées elles-mêmes. Une image qui rappelle la réalité urbaine, faite d'éclats juxtaposés, indépendants, mais qui constituent pourtant encore un tout qui ne se désagrège pas. Une existence urbaine est l'éclat d'une vitre à la transparence déchue.

samedi 19 septembre 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES - Quarante-troisième semaine

 

Zinneke Parade 2012


CONVERSATION SECRÈTE

 


La photographie de rue est aujourd'hui un genre en péril. Je le crois même en voie d'extinction, comme mille de ces activités, loisirs ou métiers traditionnels que les bouleversements apportés par de successives révolutions industrielles, technologiques et sociales, auront rendus obsolètes, caduques, « dépassés », ringards.

Quand je passe en revue des clichés que j'ai réalisés quelques vingt ou trente ans auparavant, quelle richesse d'attitudes, de mimiques, de gestes, de situations ne s'offraient-ils pas au photographe ? Photographier la présence humaine dans une grande ville était une quête passionnante et fructueuse. Mais aujourd'hui, quel appauvrissement ! Qui n'a pas son nez dans son téléphone ? Qui ne le porte-t-il pas à l'oreille ? Tous sont uniment hypnotisés par l'écran, ou absorbés dans d'incompréhensibles soliloques, et paraissent comme indifférents dans un environnement qui leur est arbitrairement devenu inexistant.

Que reste-t-il au photographe soucieux de documenter l'humain ? – L'incongruité des lieux, des moments ou des circonstances dans lesquels il est fait usage du téléphone portable peut-être ?

Dans le festif tintamarre du défilé de la Zinneke Parade, alors que chaque participant a son rôle à jouer, cette jeune fille n'a osé ignorer l'impératif d'un appel. Séance tenante, au beau milieu du spectacle, elle s'est saisie de son téléphone qui la houspillait effrontément d'une sonnerie importune et insistante : « Allô ?... Oui, je suis occupée... Mais parle tout bas ; on nous écoute. »

Le collectif du spectacle ne fait pas le poids devant l'impératif solipsiste du monde totalement connecté.

samedi 29 août 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Quarante et unième semaine

 

Zinneke Parade 2016


LE REGARD PERDU


Elle participait à une zinnode qui venait d'achever une ultime répétition avant que le cortège ne s'ébranlât. Je ne me souviens plus quel y était son rôle, actrice ou musicienne.

Après le tonitruant tapage de la répétition, un silence relatif était tombé sur la ruelle. Un instant de répit avant de devoir recommencer les mêmes gestes deux heures durant. Elle souffle un peu, la clope mal roulée au bec, sa casquette lui donnant un air gavroche, et avec son grimage appro­ximatif.

Elle semble rêver, et son regard s'est perdu. Comment peut-on perdre son regard ? Pour un photographe, c'est à peine compréhensible, et surtout terriblement angoissant. Que serait un photographe qui aurait perdu son regard ?...

Mais il n'est pas perdu pour tous. Non, elle n'a pas perdu son regard ; elle se l'est réapproprié. Elle regarde non plus le monde qui l'entoure, mais observe un instant ce qui se passe à l'intérieur. À l'intérieur d'elle-même, où elle vient soudain de découvrir un souvenir négligé, un espoir ancien, un désir secret qu'elle observe avec un peu de nostalgie, comme quelque chose d'émouvant qu'elle sait ne pouvoir saisir. Elle s'est rendue à elle-même après avoir donné aux autres, et avant d'en donner plus encore. Elle fait le point sur ce qu'elle est avant de faire ce qu'elle doit paraître.

Son regard est absent, mais il n'est pas vide. Il est plein d'elle-même, de toute son intimité. Nous y devinons un monde riche, empli d'aventures extraordinaires et de rêves fascinants, de désirs apaisants et d'espoirs réconfortants... Nous devinons tout cela, mais nous n'y avons pas accès. Son regard est perdu, et il nous ferme ainsi l'entrée à ce que nous brûlons pourtant de connaître. Son regard est perdu, mais le photographe a su le recueillir. Il reste ainsi perdu à jamais, nous laissant éternellement interrogatifs devant son énigme.

dimanche 23 août 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Quarantième semaine

 

Rue Navez, 2019


CERCLE D'AMIS

Il est des quartiers de Bruxelles où l'on s'étonne de constater combien peuplées se révèlent de modestes demeures. Ne nous y trompons pas ; les adresses fictives foisonnent dans la ville, grossières fraudes qui cachent mal tout un affairement interlope.

Mais si l'on veut aller au-delà de ce constat judiciaire, si l'on veut bien faire l'effort de ne considérer que ce qui se montre, c'est alors une singulière poésie qui se dégage parfois de ces portes rébarbatives. Cette ronde de sonnettes agencées dans un équilibre graphique et chromatique improbable qui les rehausse, en est un exemple.

Qu'évoquent-elles ? Un trafic minable et maladroit ? Peut-être pas. Plutôt un cercle d'amis qui affichent leur convivialité dès la porte d'entrée. C'est comme un accueil : « Sonnez et entrez sans hésiter. Vous êtes des nôtres. – Venez ! Il y a encore de la place... ».

Peut-être faut-il être photographe pour voir et imaginer tout cela.

samedi 15 août 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Quarante-deuxième semaine

 

Tour de l'hôtel de ville

vue de la place Poelaert, 1981


L'HEURE BLEUE


Il y a un moment particulier, propre à l'été, quand le soleil a sombré sous l'horizon et avant que la nuit noire ne tombe, durant lequel tout se trouve baigné d'une lumière bleue. Nous autres photographes nommons ce moment « l'heure bleue ».

Un soir d'été, alors que je m'étais attardé dans les rues de Bruxelles et m'apprêtais à rentrer, passant par la place Poelaert d'où l'on découvre tout le bas de la ville, je jetai un coup d'œil en direction de la Grand Place. On venait d'allumer l'éclairage qui illumine la tour de l'hôtel de ville. Elle se détachait avantageusement des arrière-plans qui commençaient à s'effacer dans la nuit tombante.

Nous sommes en 1981 et la photographie numérique ne pointait pas encore à l'horizon. Mise au point automatique et stabilisateur d'image inconnus. Sur le boîtier, un 500 mm catadioptrique. Ouverture fixe : f/8. Dans le boîtier, du Kodachrome 64. J'ai fait la photo à main levée, sans appui, avec la seule aide du moteur qui permet un déclenchement électrique.

J'étais jeune, j'étais fou. Tout m'était possible.

52 SEMAINES À BRUXELLES – Trente-neuvième semaine

 

Zinneke Parade 2016


L'ANGE BLEU


Ange bleu de mon imagination, de mes fantasmes, de mes rêves, que ne puis-je te saisir un jour au sortir de mon sommeil !

Et pourtant te voilà, toi ainsi que tes sœurs, figée, épinglée, statufiée à jamais dans ton attitude hiératique, telle qu'enfin l'image te rende à toi-même.

Dans ce bleu conquérant qui inondait mon viseur, à l'instant encore incertain d'appuyer sur le déclencheur, la lumière de tes yeux jaillit comme un impératif auquel je ne pouvais me soustraire : maintenant ! Oui, c'est à cet instant que je me devais de fixer mon rêve secret.

Ange bleu aux yeux clairs, sois désormais l'irrécusable témoignage de ma rêverie offerte à tous.

samedi 8 août 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Trente-huitième semaine

Place de la Bourse, 2012

SCULPTURE


La sculpture a déserté les constructions modernes. À la profusion des figures qui ornaient les cathédrales médiévales, s'est substitué la lisse nudité des cathédrales de la finance.

Au XIXe siècle pourtant, les églises de l'argent-roi, les bourses, se paraient encore d'allégories sculptées glorifiant les vertus du travail, du capital et de l'exploitation. Concession hypocrite à un sentiment religieux en déliquescence sans doute.

Aujourd'hui, les masques sont tombés. La bourse de Bruxelles, déchue devant l'hyperactivité des microprocesseurs, a trouvé refuge ailleurs, phagocytée par plus grosse qu'elle. Il ne reste plus que les corps libérés pour exalter la plastique humaine.

Sûr que la sculpture reviendra dans nos rues, sur nos bâtiments, quand l'argent-roi sera condamné au Grand Exil.

samedi 1 août 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Trente-septième semaine

Rue de la Madeleine, 2010

NUDITÉ PUBLIQUE


La nudité publique dérange, choque certains, embarrasse les autres. Certes, c'est aussi selon les circonstances et les cultures, mais dans une grande ville comme Bruxelles, elle n'a pas sa place dans l'espace public.

Mais qu'en est-il d'un mannequin nu ? Ne s'agit-il pas là que d'une poupée, grandeur nature, plutôt réaliste par certains aspects, certes, mais qui reste néanmoins un objet ?

Je ne me souviens plus très bien des circonstances dans lesquelles cette photo fut prise. C'était au bas de la rue de la Madeleine, où se tient une sorte de marché à babioles pour touristes. Ce mannequin se tenait ainsi affublé, à la vue de tous, dans une échoppe qu'on avait désertée. Singulièrement, on avait pris soin de « l'habiller », comme s'il fallait faire quelque chose, fût-ce peu, pour que la pudeur ne soit pas attentée.

Mais quel accoutrement bizarre ! Un bonnet digne d'hivers sibériens et une écharpe dont la couleur orange a pour effet d'attirer le regard sur ces seins qu'elle tente approximativement de cacher... et c'est tout ! Le bas du corps, avec ses profils et galbes suggestifs, ne manque pas de faire finalement, et peut-être même premièrement, converger les regards vers ce point du corps féminin qui constitue la plus grande affaire de l'humanité depuis qu'elle existe, et par lequel nous sommes tous passés.

On se prend d'affection pour ce corps offensé tant il semble l'être par surprise : il rejette les bras en arrière, comme s'il venait d'être soudain dévoilé, ainsi que le révèle de même l'expression troublante du visage.

Il n'y a pas de doute que notre phobie de la nudité publique finit par se porter sur les objets aussitôt que ceux-ci la suggèrent, fût-ce elliptiquement. Et révélant ainsi notre malaise, sinon notre hypocrisie, devant ce qui nous rappelle cet angoissant fantasme qui nous hante tous : être exposé nu en public.

samedi 25 juillet 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Trentre-sixième semaine

Boulevard de l'Impératrice, 2017

CHAGRIN ET RÉCONFORT


Chagrin est assis à droite, prostré, le visage penché vers le sol. Son attitude trahit le besoin de rentrer en lui-même, de se soustraire à son environnement, de s'isoler pour subir sa douleur, pour masquer ses larmes. Une de ses mains fouille ses cheveux, par un geste qui tente d'essuyer cela qui l'accable, pour écraser du pouce une larme qui s'écoule. L'autre main pend, à l'abandon, avec encore juste assez de force pour retenir le téléphone portable par lequel, sans doute, la mauvaise nouvelle est arrivée. Chagrin sanglote.

Mais Réconfort s'est assise à son côté. Elle a rapproché sa tête pour lui chuchoter les mots qui réchauffent le cœur et apaisent l’esprit. Elle a passé son bras par dessus les épaules de Chagrin comme pour se l'approprier, pour lui faire sentir qu'il n'est pas seul, pour prendre sur soi un peu de sa douleur.

On n'aime pas voir souffrir, et l'on s'attriste pour Chagrin. Mais la présence de Réconfort nous rassure. Une oreille attentive est là pour aider Chagrin à surmonter sa douleur. Toute l'expression de l’empathie humaine est résumée dans cette image.

J’adore cette photo.

samedi 18 juillet 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Trente-cinquième semaine

Foire du Midi, jour de fête nationale. 2016

FÊTE NATIONALE


Les hasards de la naissance nous convient d'honorer, selon des rites consacrés, les étranges et embarrassants privilèges et vertus dont ils nous affublent, quand même n'est-on jamais sûr qu'ils soient de bon aloi.

Le 21 juillet est jour de fête nationale en Belgique. Le pavois noir-jaune-rouge envahit les rues de Bruxelles. Pourtant, déambulant parmi les attractions tonitruantes et bigarrées de la Foire du Midi, une dame, dignement appuyée sur sa canne, avait choisi de montrer sa préférence, une préférence autre que celle qu'il est convenu d'afficher en cette date.

Arborer les couleurs d'une autre nation que celle qui, ce jour, fête les siennes, était-ce là provocation, dérision ou maladresse ? Ordinairement ce genre d'attitude s'attirerait l'indignation d'ombrageux patriotes, le rejet de ceux qui confondent leur nation avec leur nombril, la condescendance des bien-pensants et la risée des imbéciles. Moi, j'y ai vu un acte de courage citoyen.

Car cela revient à relativiser ces valeurs que traîne tout nationalisme, valeurs trop souvent ambivalentes dont on ne saurait se défier assez. Les valeurs réputées nationales ne se confondent pas avec les couleurs que l'on arbore trop ostensiblement.

Poursuivez votre chemin en toute sérénité, Madame, votre excentricité est de bon ton.

samedi 11 juillet 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Trente-quatrième semaine

À proximité de la place Rogier, 1983

CONSTRUCTION


On a coutume de classer les photographies selon deux catégories : les photos trouvées et les photos construites.

Les premières sont cherchées par les photographes soucieux de retenir les événements fugaces, les associations fortuites, les mimiques, les gestes, les attitudes inattendus... tous événements improbables et incertains qu'il faut saisir au vol. La photographie de rue est la discipline-reine des photos trouvées.

Les secondes sont agencées délibérément par le photographe qui rassemble et met en relation des objets dans un environnement choisi, y place des personnages (des mannequins souvent, c'est-à-dire des acteurs)... en contrôlant tous les éléments qui composent son image. La photographie de studio recourt systématiquement à la photo construite.

Cependant – comme il arrive souvent avec ces catégories trop commodes –, il y a une foule de photographies qui ne se plie pas à cette classification. L'image reproduite ici en est l'exemple parfait. La grue, le soleil, sont des éléments trouvés. Leur association, qui crée cette image, son ambiance et l'allégorie qu'elle suggère, n'est pas tant fortuite qu'elle n'y paraît, puisque j'ai soigneusement choisi mon point de vue pour assurer cette coïncidence, et patiemment attendu que le soleil descende assez pour qu'elle se fasse. C'est donc une photo trouvée-construite...

La morale de cette observation est qu'en photographie il faut apprendre à se défier des classifications et des règles. La vertu cardinale du regard photographique est la transgression.

samedi 4 juillet 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Trentre-troisième semaine

Grand Place, 2018

PLEIN LA VUE

Elle avait fait le voyage depuis l'Inde ; de Delhi, de Mumbai ou de Madras peut-être. Elle voulait voir les beautés étranges et rutilantes de l'Europe, la Grand Place de Bruxelles notamment, tant vantée par les guides avec lesquels elle n'avait eu cesse de rêver.
Le soleil était de la partie, contribuant à l'éblouir plus encore. Tellement qu'elle ne pouvait se passer de ses lunettes solaires. Que voyait-elle au travers ?... Moi, photographe en maraude, j'ai vu l'image de son émerveillement se refléter sur la surface métallisée de ses lentilles. À n'en pas douter, elle s'en mettait plein la vue.
Je l'approchai ; elle parlait l'anglais. Je lui expliquai ce que je voulais faire. De bonne grâce, elle se plia à mon caprice.
Je pus ainsi saisir l'image de son rêve enfin réalisé, qui faisait de son regard la vitrine de son désir si longtemps couvé. Je lui envoyai la photo.
Là-bas, en Inde, à Delhi, Mumbai ou Madras, au pays des temples innombrables et insolites, là où me portent mes aspirations de photographe, il y a une fille qui m'a révélé que tous, finalement, portons le même désir d'une invitation au voyage.

samedi 27 juin 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Trentre-deuxième semaine

Grand Place, 1981

RAYONNEMENT


Cette image évoque celle d'une explosion, sorte de big bang graphique. D'un centre qu'on n'aperçoit pas s'élancent à la conquête de l'espace les faisceaux colorés d'un parasol en gloire. Il rayonne.

Il rayonne comme un lever de soleil, chargé de promesses (et non comme un coucher, qui est lourd de regrets). Il rayonne comme une fleur qui s'épanouit en exposant son cœur : photographe en action.

Rayonner signifie s'étendre, irradier, fuser vers des confins, jaillir d'un centre que l'on fuit. Rayonner est ainsi toujours perçu positivement : c'est aller au loin, aller de l'avant, conquérir et s'imposer. C'est volonté d'expansion. À l'inverse, converger n'a pas cette connotation systématiquement positive. Converger, c'est se replier, se refermer sur soi, revenir au point de départ. Régresser, non pas progresser. Alors qu'une convergence est une concentration ou un rassemblement. Ce qui peut, selon les circonstances, avoir pourtant valeur positive.

Cette photo, toutefois, impose le sentiment du rayonnement. Est-ce parce qu'elle semble émaner de l'attitude faite toute de minutie que cette dame adopte ? Est-ce que ce souci du réglage précis, en son acribie, appelle immanquablement une « belle photo » ? Je ne saurais en décider.

Cette dame, foyer rayonnant, cœur floral, absorbée tout entière en son souci du cadrage rigoureux, de la mise au point précise et de l'exposition idéale, ne veut – c'est évident – « rater sa photo ». Tous les moyens requis sont mis en œuvre en vue de ce souhait. De ce souci de bien faire, de cette concentration sur le sujet, de cet invulnérable solipsisme – car retour sur soi, ce qui est tout convergence – rayonne la passion d'une exemplaire perfection qui ne saurait se faire que réussite.

J'espère, Madame, que votre photo vous réjouit autant que j'éprouve du plaisir à regarder la mienne.

samedi 20 juin 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES - Trente et unième semaine

Rue des Riches Claires, 2018

L'OBTURATEUR


Obturateur : dispositif servant à obturer. Du latin obturare : boucher. On obture un trou, une cavité, un passage. On peut ainsi, par exemple, obturer un accès par une toile jaune barrée d'une croix verte explicite, comme sur cette photo : passage condamné. Un obturateur est un dispositif impliquant l'idée d'empêchement, d'obstruction et donc, par conséquent, de masquage, de dissimulation, de soustraction à la vue.

Mais la brave dame qui se tient là, devant ce dispositif obturateur, porte son appareil photo à hauteur d'œil pour faire un cliché. Quel est le mécanisme fondamental sur lequel repose le fonctionnement d'un appareil photo ? – L'obturateur.

Mais quelle contradiction ! Car voilà cet appareil pourvu d'un dispositif d'obstruction (à la lumière), d'un dispositif de « soustraction à la vue », qui permet tout au contraire de faire voir en partageant les images qu'il enregistre grâce à ce dispositif précisément. La définition de l'obturateur se fait ici sac d'embrouilles.

La photographie invite ainsi à revoir la pertinence des lexiques. L'obturateur de l'appareil photo ne sert pas tant à obturer qu'à permettre un passage à la lumière, un court instant il est vrai, et toujours à un moment choisi. Il n'obture pas, il ouvre ; il ne soustrait pas à la vue, il donne à voir.

Madame, vous nous apprenez à nous méfier des mots. L'image, pour laquelle vous avez bien voulu prêter votre présence, nous confronte à cette contradiction et nous incite à penser au-delà des apparences visuelles et des évidences lexicales. Peut-être est-ce aussi pour cela que l'on a inventé la photographie.

dimanche 14 juin 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Trentième semaine

Zinneke Parade, 2018

SOLITUDE


Solitude : « état d'un lieu désert ». Or, dans cette photo, il y a du monde ; ce titre lui est-il vraiment adéquat ? Et pourtant, à la considérer, c'est bien le mot solitude qui s'impose spontanément. Il s'impose parce qu'il n'y a qu'un punctum qui y perce : ce seul visage vers lequel, immanquablement, l'attention se porte. Un visage qui, à lui seul, confère tout son sens à cette photo.

Cette personne au visage un peu figé est seule – et donc solitaire – parce que toutes les autres sont comme absentes de l'image : elles se détournent de l'objectif du photographe, s'affairent à diverses choses, discutent, boivent... Ce seul visage qui nous fait face manifeste ainsi son isolement. Cette personne ne participe pas aux affairement du groupe, elle en reste ignorée, presque exclue. Les autres, aussi nombreux soient-ils, aussi agités, bruyants, gesticulants... ne représentent rien : l'œil qui contemple l'image ne s'y attarde pas. Dans le cadre de cette photo, j'ai fait de cette foule le désert qui crée la solitude d'une personne.

Certes, il semble qu'elle soit là un peu malgré elle, étrangère aux intérêts du groupe. On devine chez elle un certain handicap, une certaine différence. Assez pour que le groupe, se croyant pourtant solidaire, instaure suffisamment de solitude pour que l'un de ses membres s'y retrouve isolé.

samedi 6 juin 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Vingt-neuvième semaine

Gay Pride Parade 2016

LA GRATIFICATION


On ne saurait exagérer combien la pratique de la photographie peut être gratifiante – souvent, de manière imprévisible.

Je maraudais ainsi parmi les participants de la Belgian Pride Parade avant que le cortège ne s'ébranle. Très souvent c'est le meilleur moment pour faire les photos d'un tel événement, et je me suis fait une règle d'être toujours présent dans les coulisses avant la représentation. Les acteurs y sont plus naturels, s'exercent à leur rôle, s'y préparent avec plus ou moins de conviction, tout en n'étant pas encore imprégnés de leur personnage. Ils discutent entre eux et ne se soucient guère du photographe qui rôde parmi eux.

Des photographes, il y en avait des dizaines, exhibant le simple téléphone portable jusqu'à l'équipement le plus impressionnant. Ce sont mes alliés. Car leur nombre permet de me fondre dans la masse et de me rendre presque invisible. Ce sont là les circonstances privilégiées d'une rare liberté.

Cette jeune femme faisait partie d'un groupe joyeux et bruyant avec lequel elle échangeait des plaisanteries. L'animation parmi eux était grande et, tout à ses badinages, elle ne remarquait pas que, depuis un moment déjà, je la photographiais. J'étais fasciné par son séduisant visage, son attitude enjouée, ses expressions spontanées... À la fin elle nota soudain ma présence et l'objectif pointé vers elle. Elle me gratifia alors de ce généreux sourire tout en prenant une pose de militaire saluant, pour le remercier comme j'aime à le croire, le photographe qui prenait la peine de s'attarder sur elle.

Ce visage rayonnant, ce sourire éclatant, ce regard lumineux, je les prends pour moi. Ils sont un remerciement, une gratification qui me sont exclusivement réservés, personnels.

Trop heureux de vous avoir offert ce plaisir mademoiselle. À mon tour de vous retourner mille mercis pour le partage de votre joie de vivre.

samedi 30 mai 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Vingt-huitième semaine

Grand Place, 1979



ROSES ROUGES ET ROSES




Oui, je l'avoue : cette photo est un plagiat. J'avais vu dans un magazine, un an auparavant, une photo semblable faite par Jay Maisel à Paris. « Je ne me souviens plus de l'endroit », disait-il, « Qu'importe ! On retrouve cela dans tous les marchés des quatre saisons de Paris ». C'était en 1978.


Cette photo à été prise sur la Grand Place de Bruxelles. En ces années-là, il s'y trouvait encore un marché aux fleurs. Mais comme pour le marché aux oiseaux, qui se tenait le dimanche matin, il en a été chassé pour laisser la place aux hordes de touristes qui l'envahissent quotidiennement. Bruxelles aura perdu là un peu de son âme, que ne saurait compenser ce qu'elle a gagné en espèces sonnantes et trébuchantes que ces nouveaux barbares apportent dans leurs valises.


Les roses expriment l'amour. Absolu pour les rouges, tendre et doux pour les roses. Le langage des fleurs était encore entendu en ces temps-là, avant que les téléphones portables et leurs messageries instantanées substituèrent l'expression crue de sentiments immédiats et frivoles à l'évocation pudique d'une passion profonde. Autres temps, autres mœurs ; autres moyens de communication et des sentiments qui s'y accordent. On ne saurait négliger combien notre obsession d'être « en contact », à tout moment, en tout lieu, aura dégradé la sincérité de la relation entre les êtres.


C'est pourquoi j'aime cette photo si simple, si facile, et pourtant devenue tellement parlante depuis la quarantaine d'années qu'elle dormait dans mes archives. Aujourd'hui la voilà soudain pleine de sens et qui prend vie.

samedi 23 mai 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – vingt-septième semaine

Feria Andaluza, sur le plateau du Heysel, 2011



SOURIRE ESPIÈGLE




Il y a quelques années déjà, la communauté espagnole de Bruxelles prit l'habitude de se rassembler une fois l'an pour fêter les traditions de son pays d'origine. Beaucoup venaient d'Andalousie, et ce qui ne fut d'abord qu'une modeste fête de quartier se mua bientôt en une énorme kermesse qui s'est implantée au pied de l'Atomium, sur le plateau du Heysel. Ainsi se développa ce qui est aujourd'hui connu des Bruxellois comme la Feria Andaluza.


Une jeune fille, dont on ne saurait douter de l'origine, grimée et costumée, retint mon attention. Aussitôt que je commençai à la photographier, elle posa, et prit cette moue un peu fière et ironique. Elle me décocha un sourire espiègle que cette image immortalise.


Sans que nous échangeâmes un seul mot, son attitude me dit bien des choses qu'elle n'eut sans doute jamais exprimées si nous nous étions parlé :

Je veux bien que tu me prennes en photo, mais celle que tu vois n'est pas celle que je suis...

ça m'amuse de te voir amusé par mon grimage ; je t'ai séduit au point que tu ne peux t'empêcher de me photographier. C'est donc moi qui ai gagné...

Allez, c'est bon. Photographie-moi puisque tu en as tellement envie. Je sais que je te plais, et ça m'amuse de te troubler ainsi...

Photographie-moi donc, car je disparaîtrai dans un instant et tu ne me reverras plus...


Tant de choses peuvent être dites en photo que seule la photo peut révéler. Ce sourire espiègle, tendre et malicieux à la fois, me hantera toujours – je le sais.