samedi 10 octobre 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES — Quarante-sixième semaine

 

Rue Vautier, 2011


LA CAVERNE

Le livre VII de La République de Platon s'ouvre par la description d'une étrange scène que l'on a coutume d'appeler le « mythe de la caverne ». Je ne sais si ce texte constitue un mythe à proprement parler, mais il est certainement devenu un texte mythique de la philosophie. D'aucuns le considèrent comme fondateur de l'idéalisme.

Le thème en est bien connu : des hommes enchaînés dans l'obscurité d'une caverne ne peuvent percevoir, sur la paroi qui leur fait face, que l'ombre des objets qui passent devant une source de lumière disposée à l'entrée de la caverne. Une sorte de vaste lanterne magique en quelque sorte.

Ce spectacle étrange qui se déploie devant les yeux de ces malheureux prisonniers est représenté par cette photographie. Les ombres qui se détachent sur le mur ne sont pas les objets réels – les « idées » – qu'elles représentent. Pourtant, sans eux, pas d'ombre portée. Tout ne serait-il donc qu'illusion dans cette photo ? Non, car il s'y trouve une réalité directement représentée, essentielle, de même nature que celle des objets projetant leur ombre. Cette réalité immédiate est celle du mur sur lequel les ombres se projettent et sans lequel elles ne pourraient être perçues.

À cela, Platon n'a pas pensé. Première fissure dans l'édifice platonicien. Et notre philosophe a oublié autre chose encore. Pour décrire une telle scène, il faut un regard qui la perçoive. Regard lui aussi non moins réel que les objets originaux. Ce regard est ici, en l'occurrence, celui du photographe. Et nous voilà projeté auprès de Descartes : je photographie, donc je suis. Deuxième fissure dans l'édifice platonicien.

En 1884 Nietzsche écrivait : « La photographie est une preuve suffisante contre la forme la plus grossière de l' “idéalisme” ». Ou la photographie élevée au titre d'argument philosophique.

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