Sous ce titre j'entame la
publication hebdomadaire d'une photographie choisie parmi toutes
celles que j'ai réalisées à Bruxelles. Cette publication s'étendra
sur toute une année, c'est-à-dire cinquante-deux semaines, c'est-à-dire encore cinquante-deux photographies. Chacune
d'elle sera accompagnée d'un court texte, sur
l'intention duquel je reviendrai plus tard.
Toutes les photos qui se
rassembleront sous ce titre ont donc en commun Bruxelles comme lieu
de leur saisie. C'est là le seul lien qui les unifie dans
l'exposition de cet aspect de mon travail de photographe. I'm a born street photographer, je suis un photographe de rue né –
si je puis risquer cette expression – et Bruxelles a toujours été
mon terrain de chasse privilégié. D'abord parce que cette ville m'a
vu naître, parce que j'y ai grandi, et enfin parce qu'elle fut le
terrain s'offrant spontanément à l'exercice de mes premiers pas de
photographe dès le milieu des années 70. Il ne faut donc pas se
méprendre quant à la nature de cette publication. Il ne s'agit en
aucun cas de proposer je ne sais quel « reportage » sur
une ville appelée Bruxelles. Celui qui y chercherait quelque
illustration de la vie bruxelloise ou qui souhaiterait y trouver
quelque matière à documenter le propre de cette ville, sera déçu.
Ces photographies sont bien moins des images sur Bruxelles que
des photos faites à Bruxelles. Cette ville y est plutôt le
prétexte à l'exercice d'un regard personnel qu'un thème en soi.
Comme je le disais il y a un
instant, chacune des photographies publiées sera accompagnée d'un
texte qu'elle m'aura inspiré. Pour le dire simplement, c'est en
quelque sorte un commentaire de mon cru sur mes propres photos. Mais
là encore il convient de se garder de croire qu'il s'agit d'une
légende de quelque étendue ou d'un commentaire qui chercherait à
doubler l'image par des mots. Non pas dire ce que la photo montre
immédiatement, mais plutôt la prolonger, l'étendre au-delà de ce
qu'elle donne à voir, d'en ouvrir comme une dimension secrète,
inattendue quelquefois, révélation d'un non-dit que toute
photographie recèle implicitement.
Je ne vais pas ici exposer et
commenter toutes les théories qui discutent du rapport
image/langage, lequel rapport sous-tend toute appréhension d'une
photographie, en oriente la « lecture » et influe sur son
sens. Il y a de nombreux écrits qui en traitent, et je me
contenterai d'y renvoyer le lecteur. Toute photographie appelle le
langage, le provoque et l'impose comme son indéfectible complément.
Une photo est primordialement un acte déictique : elle est pure
monstration. C'est un index tendu qui pointe vers ce qu'il y a à
voir : « Regarde ça, là ! Tu as vu ça ? ».
On le voit, montrer c'est déjà dire – quand même ne s'agirait-il
encore que de simples exclamations. Mais elles sont déjà la
manifestation primordiale d'une expérience native, naturelle et
spontanée de notre être au monde. La parole se joint naturellement
au geste, et la photographie en est l'illustration. Pourquoi montrer
ça, justement ? Parce que cela ne nous laisse pas indifférent.
Une photographie, c'est une invitation à dire ce que l'on ressent,
ce que l'image suscite comme émotions, ce qu'elle éveille comme
idées, ce qu'elle permet comme interprétations possibles. C'est une
façon de comprendre le monde, et parce que toute compréhension est
par nature interprétation, il faut le dire.
Tout cela est inévitablement fort
subjectif. C'est ma façon de percevoir et d'interpréter ces
photographies qui s'exprime par là. Il ne saurait en être autrement
d'ailleurs, et je considère que c'est même une vertu. Car c'est une
invite à la réflexion et à la prise de position. Et ces
commentaires sont d'autant plus subjectifs que je suis moi-même
l'auteur de ces photographies. C'est une position privilégiée,
certes, mais aussi d'autant plus singulière. Car ce que j'exprime là
par ces mots, c'est justement ma propre expérience de photographe.
Je dis ce que j'ai ressenti au moment de les faire, ce qui m'a poussé
à appuyer sur le déclencheur, mais aussi ce qu'elles évoquent
encore pour moi quand je les regarde quelquefois plusieurs dizaines
d'années plus tard. L'acte de photographier ne se résume pas à la
seule prise de vue ; il s'étend jusqu'à la contemplation de
l'image réalisée, par quoi il acquiert une dimension vraiment
universelle et partagée, puisqu'il peut être maintenant vécu par
tous ceux qui perçoivent l'image qu'il met sous leurs yeux. Ce que
j'ai finalement cherché à exprimer par ces textes, c'est justement
cette expérience photographique que j'ai décrite ailleurs,
et que je voudrais faire vivre maintenant de manière plus concrète,
plus intuitive, plus vivante que ce que j'ai pu en dire précédemment
dans une contexte et une langue plus « théoriques » ou
« abstraits ».
Cinquante-deux photographies et
leurs commentaires donc, à raison d'une par semaine. C'est une
discipline que je m'impose car elle me force à réfléchir sur la
portée émotionnelle que peut provoquer toute photographie, selon le
contexte dans lequel est est réalisée et observée ultérieurement,
et qui doit aider à comprendre le sens d'une démarche de
photographe. De leur réception – ou non-réception – dépendra
le projet de les publier sous forme d'un livre.