lundi 6 novembre 2017

Recommandation n° 5 : Robert Doisneau ou la poétique de l'instant

Au musée d'Ixelles se tient actuellement une exposition rétrospective de l'œuvre du photographe Robert Doisneau. Du 19 octobre 2017 jusqu'au 4 février 2018, on aura l'occasion de parcourir du regard 60 années de la carrière photographique d'un artiste suffisamment connu pour que je n'aie pas à le présenter ici.
L'exposition s'articule autour de trois pans majeurs de cette œuvre : « Le merveilleux quotidien » rassemble les nombreux clichés que l'on pourrait caractériser comme ceux du photographe de rue. « Palm Springs 1960 » montre des images extraites d'un reportage couleur réalisé pour le magazine Life1. « Ateliers d'artistes » enfin, nous propose les portraits de nombreux artistes, contemporains du photographe, souvent saisis dans leur environnement de travail.
Cette exposition connaît d'ores et déjà un franc succès – ne commettez pas la même erreur que moi en vous y rendant un dimanche après-midi ! – car elle offre au public belge ce qui requérait un déplacement dans la capitale française pour accéder à ces œuvres. On regrettera peut-être un éclairage un peu chiche rendant malaisée l'appréciation des tirages noir et blanc (la majorité !)2 – alors que là est tout l'intérêt de cette exposition dont nombre des œuvres exposées sont déjà connues pour les avoir vues imprimées dans plusieurs publications.
Je ne m'attarderai pas ici à décrire ces images ou à juger de la pertinence des choix opérés par les organisateurs. Tout choix est nécessairement un compromis et il faut l'accepter comme tel. Je voudrais plutôt réfléchir avec vous sur le sens d'une œuvre telle que celle-là au regard de ce que la photographie actuelle peut en tirer comme enseignements.

Que représente l'œuvre de Robert Doisneau pour un photographe aujourd'hui ? On a l'habitude de classer cette œuvre parmi celles qui illustrent ce qu'il est convenu d’appeler la « photographie humaniste ». Cette dernière rassemble autour d'elle les noms prestigieux de Brassaï, Édouard Boubat, Izis, Willy Ronis ou Henri Cartier-Bresson. Cette photographie, fortement centrée sur Paris – quand la capitale française était encore la capitale de la photographie tout entière –, si elle procède d'une inspiration commune, ne laisse pourtant pas de montrer une grande diversité des démarches, dont celle de Robert Doisneau doit nous arrêter ici.
La spécificité de la démarche de Doisneau se révèle au mieux quand on la confronte avec celle d'un Henri Cartier-Bresson par exemple, ou avec celles de ses innombrables émules. Quand celui-ci parcourt le monde pour faire ses « images à la sauvette », celui-là reste plutôt à Paris et dans sa banlieue pour y faire ses « images à la bonne franquette ». Quand l'un saisit l'instant décisif en passant tout aussitôt à autre chose, l'autre s'attarde avec son sujet, l’attend, l'aborde même, se familiarise avec lui, fraternise et enfin saisit une image qui résume cette complicité, sinon cette intimité. C'est fait sans malice ou arrière-pensée, sans chichi, simplement (mais non pas tant spontanément), et toujours avec le sourire. Certains ont cru y voir une forme de complaisance facile avec un monde dont les aspérités sociales seraient lissées, sinon ignorées. Si chez Cartier-Bresson ces aspérités sont souvent soulignées, on répondra qu'il y a là deux vérités complémentaires qu'il est vain, sinon stupide, de vouloir opposer : elles disent le même autrement.
La familiarité est peut-être le qualificatif qui convient le mieux pour décrire cette relation privilégiée du photographe avec son sujet. D'abord parce que Doisneau évolue dans l'environnement qui l'a vu naître et où il a vécu. Ensuite parce que nombre de ses portraits (au sens large de tous ceux dont il croisait le chemin) sont l'expression d'une sympathie, sinon d'une amitié réciproques, le résultat d'une connaissance et d'une reconnaissance mutuelles. Quand on parcourt ainsi ses portraits d'artistes, on a un peu le sentiment de voir défiler la « galerie des potes » d'un habitué du quartier.
Pourtant, Robert Doisneau était un reporter-photographe professionnel rattaché, toute sa vie durant presque, à l'agence Rapho. Mais cette carrière professionnelle et alimentaire, hormis avec la série couleur sur Palm Springs, n'apparaît pas dominer l’œuvre retenue du photographe. À la parcourir, on a le sentiment du travail d'un amateur averti qui photographie pour son plaisir. Ceci explique peut-être sa popularité auprès du grand public : chaque amateur du dimanche se retrouve un peu dans cette démarche, et l'imiter semble à portée. J'avais écrit, il y a un moment déjà, un « Éloge de l'amateur3 ». C'était à propos de la découverte fortuite de l'œuvre cachée de Vivian Maier. La démarche de Robert Doisneau apporte de l'eau à mon moulin : en photographie, le regard créatif, celui qui dévoile et étend le champ du photographiable, appartient à l'amateur. C'est-à-dire au regard affranchit des nécessités économiques et, dès lors, libre de voir au-delà du déjà-vu, du convenu, de l'évident – bref, du vendable.
Or la banlieue de Paris des années 30 et 60 ne propose rien de vendable : pas de monuments remarquables, pas de paysages spectaculaires, pas de personnages hors du commun (si l'on excepte les artistes, discrets et souvent ignorés). Rien que de l'ordinaire. Mais ce monde que nous découvrons au travers des photographies de Doisneau a aujourd'hui disparu. Pour la plupart d'entre nous, il fait maintenant partie d'un imaginaire que ses photographies authentifient. Un imaginaire chargé de nostalgie qui se donne presque comme l'image d'un monde parfait, y compris par les ambiguïtés qu'on y décèle, par ses recoins obscurs qu'on y devine, par ses injustices criantes aussi, mais qui sont comme anesthésiées par l'effet du temps qui a passé. Certes nous pouvons encore y éprouver ce que les contemporains de Doisneau ont éprouvé. Mais c'est sur un mode mineur, atténué, presque indifférent. Ce monde, quoique familier, nous apparaît étrange par certains égards. Non que nous l'éprouvions comme étranger, mais que nous le percevons comme une manifestation onirique.
Doisneau a su saisir les instants fugaces qui disent ce monde qui fut le sien. Ces instants saisis sont devenus éternité. Ils s'imposent à notre regard, à notre conscience, avec une sorte d'évidence immédiate qui les justifient tout aussitôt : oui, le photographe a bien eu raison de les arrêter. La poétique de l'instant – tel que vu par Doisneau – est celle d'une conscience qui se découvre une relation d'intimité avec le monde que nous révèle le photographe. Nous n'en étions pas – pas encore nés peut-être, ou vivant ailleurs – et pourtant nous nous y sentons « chez nous ». C'est un monde où l'on aurait aimé vivre, vivre et photographier. C'est la conscience du « bon vieux temps » dans lequel, nous semble-t-il, tout était plus facile, plus aimable, plus souriant. C'est un moment et un monde rêvés mais, paradoxalement, dont la réalité est révélée par le photographe et authentifiée par ses clichés.
Et là se manifeste le paradoxe de l'œuvre de Doisneau, sinon même son mystère. Ce monde auquel ses photographies nous font rêver trouve sa justification du fait même qu'il a pu être photographié. Le principe d'authenticité se heurte ici à la rêverie nostalgique de ce qui fut, mais irrévocablement achevé. Robert Doisneau est passé maître dans cette évocation paradoxale. Certes le temps a joué en sa faveur, puisque c'est ce dernier qui charge ce monde advenu d'une aura de nostalgie. Sa faculté d'arrêter ces instants si fugaces durant lesquels la vie quotidienne de son environnement manifeste, en un clin d'œil, la perfection apparente d'une époque, de personnages, de gestes, de scènes qui conspirent à rendre cet instant soudain plein d'une totalité et d'une signification qui le dépassent – cette faculté, disais-je, fait de lui le poète des lieux et des hommes juste avant qu'ils ne disparaissent, pour se figer en ces images qui éveillent notre nostalgie.
Robert Doisneau nous ouvre un monde qui fut le sien en un double sens : il en fut le contemporain, et il le manifeste en le reproduisant comme le reflet de son expérience personnelle. Tel est le sens de cette poétique de l'instant que j'évoquais au début de ce billet. C'est le temps qui a passé qui poétise cette vision. Elle est celle d'un humaniste, on l'a dit assez. Elle est aussi celle d'un rapport aux choses et aux hommes que nous ne pourrions reproduire aujourd'hui. Ce monde a disparu et les rapports humains se sont transformés (dégradés ?). Mais les photographies de Robert Doisneau nous certifient que ce monde a bien existé. Je disais qu'elles sont l'image d'un « bon vieux temps » – fut-il « bon » ? Est-il « vieux » ? – dont nous mesurons la spécificité à l'aune de notre expérience actuelle du monde du XXIe siècle. Nous rêvons peut-être de le voir transposé de nos jours, si cela était possible. Nous ne pouvons cependant que le rêver, dans un rêve imprégné de la nostalgie des choses qui passent en emportant avec elles ce qu'elles avaient de meilleur. C'est une rêverie poétique ; c'est la poétique de l'instant qui fut, éveillant notre désir de le retenir. Verweile doch, du bist so schön, soupirait le poète (Goethe).
  1. 1Ce reportage a fait l'objet d'une publication. Robert Doisneau. Palm Springs 1960. Flammarion, Paris 2010.
  1. 2C'est le cas en particulier du tirage intitulé « Le clairon d'Antony ». Celui qui était exposé m'est apparu fort sombre, terne, et manquant de contraste, comme si l’image était voilée. Cela m'a déçu car je connaissais cette photo depuis longtemps reproduite par impression offset avec des valeurs tonales beaucoup plus larges et riches. C'est quand même un comble qu'une reproduction photomécanique doit apparaître plus réussie que le tirage original.
    Cf. « Le clairon d'Antony », p. 79 du catalogue d'exposition publié aux Éditions Racine. Bruxelles, 2017.

samedi 25 mars 2017

Le vieux et le neuf

English version below.

     Ce n'est pas un des moindres paradoxes de la photographie que l’embarras dans lequel elle se voit plongée aussitôt qu'on lui demande d'évoquer, en une seule image, le temps qui passe – alors même que l'on vante la photographie pour son aptitude – unique dans le monde des images fixes – à arrêter le temps. On pourrait croire que cette faculté principielle devait autoriser l'évocation aisée du temps qui passe. Eh bien non ! – car cette évocation ne vient pas de la photo directement mais du spectateur qui éprouve, en la contemplant, la fuite du temps. Ce n'est que « quelque temps plus tard » que cette évocation devient possible ; il faudra attendre quelques semaines, quelques mois, quelques années pour que l'ancrage temporel de la photo commence par créer une tension assez forte avec le présent de son observation, pour que ce hiatus temporel devient perceptible.

     Mais si l'on demande au photographe de saisir une image dans laquelle l'évocation du flux temporel soit tout entière suggérée par ce que cette image représente, et sans qu'il soit nécessaire d'attendre un indispensable éloignement temporel, la difficulté devient patente. Précisément parce que la photo arrête le temps dans le monde d'image qu'elle manifeste, ce dernier y est figé comme dans un éternel présent. Dans une photo, le temps ne s'écoule plus, et il devient contradictoire d'exiger d'elle qu'elle évoque le temps qui passe.

     Il faut donc recourir aux artifices. Il faut montrer le passage du temps de manière elliptique. Pour cela, le symbolisme est mal approprié, car trop connoté culturellement. L'allégorie, en revanche, est plus pertinente, parce qu'elle montre plus directement, plus prosaïquement, ce que l'on veut évoquer, alors que le symbole doit opérer un détour par le convenu et le culturel pour fonctionner. Avec pour résultat une totale obscurité si la clef culturelle n'est pas connue ou n'est pas donnée. L'allégorie reste plus proche de la perception, et donc fonctionne dans divers contextes culturels car demeurant indépendante d'eux.


     Dans une ruelle de Limassol, à Chypre, j'avais avisé ces volets bleus aux fenêtres de deux bâtisses contiguës. L'une bien entretenue, proprette et manifestement remise à neuf récemment, tandis que l'autre semblait laissée à l'abandon. La juxtaposition des deux bâtiments dans une photo aurait peut-être suffit pour créer une image qui marche. Mais c'est la contiguïté de ces deux volets de bois qui m'aura finalement retenu. L'un neuf et peint d'un beau bleu vif et uniforme, l'autre à la peinture délavée et écaillée. Leur juxtaposition même impose à l'observateur l'inscription de cette scène dans un raccourci temporel pour que cette photo prenne sens. C'est-à-dire qu'elle évoque le temps qui passe : le volet neuf évoque le passé du volet délabré ou – ce qui revient au même – le volet délabré évoque le futur du volet neuf ; la lecture peut se faire dans les deux sens. C'est par ce raccourci temporel en un même lieu que l'image photographique peut ainsi transcender sa pétrification temporelle.


THE OLD AND THE NEW

     It is not one of the slightest paradoxes of photography the embarrassment in which it is plunged as soon as it is asked to evoke, in a single image, the passing time – even when one praises photography for its aptitude – unique in the world of still images – to stop time. It might be supposed that this principal faculty should permit the easy evocation of passing time. Well no ! – because this evocation does not come from the photo directly but from the viewer who experiences contemplating it the flight of time. It is only "some time later" that this evocation becomes possible; it will be necessary to wait a few weeks, a few months, a few years so that the temporal anchoring of the photo begins by creating a tension strong enough with the present of its observation, so that this temporal hiatus becomes perceptible.

     But if the photographer is asked to seize an image in which the evocation of the temporal flux is wholly suggested by what this image represents, and without the need to await a necessary temporal distance, the difficulty becomes patent. Precisely because the photo stops the time in the world of image that it manifests, the latter is fixed as in an eternal present. In a photograph, time does not pass away, and it becomes contradictory to demand that it evokes the passing time.

     It is therefore necessary to resort to artifices. The passage of time must be shown elliptically. For this, symbolism is ill-suited because it is too culturally connoted. The allegory, on the other hand, is more pertinent, because it shows more directly, more prosaically, what one wants to evoke, whereas the symbol must make a detour by the agreed and the cultural to work. This results in total darkness if the cultural key is not known or not given. The allegory remains closer to perception, and thus works in various cultural contexts because they remain independent of them.

     In a small street in Limassol, Cyprus, I saw these blue shutters at the windows of two adjoining buildings. One well maintained, clean and obviously refurbished recently, while the other seemed to be abandoned. The juxtaposition of the two buildings in a photo could be enough to create a picture that works. But this is the contiguity of these two wooden shutters that will finally hold me back. One is new and painted with a beautiful bright and uniform blue, the other shows a faded and peeling paint. Their very juxtaposition imposes on the observer the inscription of this scene in a temporal shortcut so that this photo takes meaning. That is to say, it evokes the passing time: the new shutter evokes the past of the dilapidated shutter or – which amounts to the same – the dilapidated shutter evokes the future of the new shutter; the reading can be done in both directions. It is by this temporal shortcut in the same place that the photographic image can thus transcend its temporal petrification.

dimanche 12 mars 2017

Les images sont partout - pictures are everywhere

English version below.

   C'est une devise récurrente de la « philosophie » du photographe américain Jay Maisel. Cette devise apporte avec elle son corollaire : always carry a camera – emporte toujours un appareil avec toi. Puisque les images sont partout, elles peuvent donc apparaître à tout moment. À tout moment il faut être prêt. Photographier est une chasse autrement plus passionnante que celle des Pokémons. À ce jour, le numérique n'a rien inventé.


   Cette photo a été prise dans un endroit improbable : el Cotillo, petit port de la côte ouest de l'île de Fuerteventura dans les Canaries. Nous sommes en janvier, il est 13h30 et la lumière est très dure. Mais du côté ombragé d'une ruelle qui mène au port et aux falaises qui surplombent la plage – là où les touristes se pressent pour faire tous les mêmes photos – j'avise ce montage fixé au mur extérieur d'un petit bar à tapas. La rue est assez étroite pour que la lumière réfléchie des façades blanches du côté opposé, violemment éclairées par cet intense soleil d'hiver, éclaire la scène d'une manière homogène. J'ai fait deux ou trois photos de cet assemblage, guère plus, peu convaincu de l'intérêt de ces images.
   C'est en éditant ces photos que je me suis rendu compte combien cette peinture verte, appliquée grossièrement sur ces objets, avait une valeur particulière qui les révélait ainsi de manière singulière. Lors de la prise de vue, je l'avais à peine remarquée. J'étais retenu par l'arrangement formel de ces objets, non par leur couleur. J'étais un moment devenu – ce qui est assez rare chez moi – color blind, aveugle aux couleurs.
   On dit que l'acte de photographier implique la mise en spectacle du monde. Il est vrai que photographier impose une mise entre parenthèses de l'attitude naturelle, exige un recul, prescrit de sortir de la quotidienneté, appelle un acte de transcendance. Certains esprits chagrins ont trouvé là motif à conspuer les photographes pour leur non-implication dans ce qu'ils photographient, comme si cela manifestait de l'indifférence – ce qui est absurde : pourquoi photographier alors ? – et trahissait une conscience incapable d'empathie. En fait, c'est tout l'inverse qui se passe : photographier, c'est se mettre à la hauteur des choses les plus humbles, des scènes les plus banales, des hommes les plus ordinaires, pour montrer, en les « spectacularisant » – si je puis oser ce maladroit néologisme – tout ce qu'ils recèlent de beauté, d'exceptionnel et de rare, et de dignité. Photographier est précisément à définir comme un acte d'empathie, sinon même d’amour. Et y voir un acte agressif – selon une thèse tellement ressassée qu'elle en devient un mythe – manifeste sans doute la perversité d'un esprit confit de ressentiment. Les photographes sont les voyants privilégiés qui révèlent le visible, et apprennent ainsi aux aveugles à voir que les images sont partout.


   It is a recurring motto of the "philosophy" of the American photographer Jay Maisel. This motto brings with it its corollary: always carry a camera. Since images are everywhere, they can appear at any time. At any moment you have to be ready. Photographing is a more exciting hunt than the Pokémon. To date, digital has not invented anything.
   This picture was taken in an unlikely place: El Cotillo, a small port on the west coast of the island of Fuerteventura in the Canary Islands. We are in January, it is 1:30 PM and the light is very hard. But from the shaded side of a street leading to the port and cliffs overlooking the beach – where tourists crowd to make all the same photos – I notice this fixture attached to the outside wall of a small tapas bar. The street is narrow enough so that the reflected light of the white facades on the opposite side, violently illuminated by this intense winter sun, illuminates the scene in a homogeneous way. I made two or three photos of this assembly, little more, little convinced of the interest of these images.
   It was by editing these photographs that I realized how valuable this green paint, applied roughly to these objects, had revealed them in a singular way. When the shot was taken, I had barely noticed it. I was restrained by the formal arrangement of these objects, not by their color. I had become a time – which is rare enough for me – color blind.
   It is said that the act of photographing involves the spectacle-setting of the world. It is true that photographing imposes a bracket of the natural attitude, requires a step back, prescribed to emerge from the everyday, calls for an act of transcendence. Some ghastly minds found here the motive to conspire the photographers for their non-involvement in what they photograph, as if it showed indifference – which is absurd: why photograph then? – and betrayed a conscience incapable of empathy. In fact, it is the reverse: photography means to rise to the level of the most humble things, the most banal scenes, the most ordinary men, to show, by "spectacularizing" them – if I may venture to dare this clumsy neologism – all that they contain of beauty, exceptionality and rareness, and dignity. To photograph is precisely to define as an act of empathy, if not even of love. And to see in it an aggressive act – according to a thesis so much re-established that it becomes a myth – is revealing the perversity of a spirit of resentment. Photographers are the privileged seers who reveal the visible, and thus teach the blind to see that images are everywhere.