samedi 27 juin 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Trentre-deuxième semaine

Grand Place, 1981

RAYONNEMENT


Cette image évoque celle d'une explosion, sorte de big bang graphique. D'un centre qu'on n'aperçoit pas s'élancent à la conquête de l'espace les faisceaux colorés d'un parasol en gloire. Il rayonne.

Il rayonne comme un lever de soleil, chargé de promesses (et non comme un coucher, qui est lourd de regrets). Il rayonne comme une fleur qui s'épanouit en exposant son cœur : photographe en action.

Rayonner signifie s'étendre, irradier, fuser vers des confins, jaillir d'un centre que l'on fuit. Rayonner est ainsi toujours perçu positivement : c'est aller au loin, aller de l'avant, conquérir et s'imposer. C'est volonté d'expansion. À l'inverse, converger n'a pas cette connotation systématiquement positive. Converger, c'est se replier, se refermer sur soi, revenir au point de départ. Régresser, non pas progresser. Alors qu'une convergence est une concentration ou un rassemblement. Ce qui peut, selon les circonstances, avoir pourtant valeur positive.

Cette photo, toutefois, impose le sentiment du rayonnement. Est-ce parce qu'elle semble émaner de l'attitude faite toute de minutie que cette dame adopte ? Est-ce que ce souci du réglage précis, en son acribie, appelle immanquablement une « belle photo » ? Je ne saurais en décider.

Cette dame, foyer rayonnant, cœur floral, absorbée tout entière en son souci du cadrage rigoureux, de la mise au point précise et de l'exposition idéale, ne veut – c'est évident – « rater sa photo ». Tous les moyens requis sont mis en œuvre en vue de ce souhait. De ce souci de bien faire, de cette concentration sur le sujet, de cet invulnérable solipsisme – car retour sur soi, ce qui est tout convergence – rayonne la passion d'une exemplaire perfection qui ne saurait se faire que réussite.

J'espère, Madame, que votre photo vous réjouit autant que j'éprouve du plaisir à regarder la mienne.

samedi 20 juin 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES - Trente et unième semaine

Rue des Riches Claires, 2018

L'OBTURATEUR


Obturateur : dispositif servant à obturer. Du latin obturare : boucher. On obture un trou, une cavité, un passage. On peut ainsi, par exemple, obturer un accès par une toile jaune barrée d'une croix verte explicite, comme sur cette photo : passage condamné. Un obturateur est un dispositif impliquant l'idée d'empêchement, d'obstruction et donc, par conséquent, de masquage, de dissimulation, de soustraction à la vue.

Mais la brave dame qui se tient là, devant ce dispositif obturateur, porte son appareil photo à hauteur d'œil pour faire un cliché. Quel est le mécanisme fondamental sur lequel repose le fonctionnement d'un appareil photo ? – L'obturateur.

Mais quelle contradiction ! Car voilà cet appareil pourvu d'un dispositif d'obstruction (à la lumière), d'un dispositif de « soustraction à la vue », qui permet tout au contraire de faire voir en partageant les images qu'il enregistre grâce à ce dispositif précisément. La définition de l'obturateur se fait ici sac d'embrouilles.

La photographie invite ainsi à revoir la pertinence des lexiques. L'obturateur de l'appareil photo ne sert pas tant à obturer qu'à permettre un passage à la lumière, un court instant il est vrai, et toujours à un moment choisi. Il n'obture pas, il ouvre ; il ne soustrait pas à la vue, il donne à voir.

Madame, vous nous apprenez à nous méfier des mots. L'image, pour laquelle vous avez bien voulu prêter votre présence, nous confronte à cette contradiction et nous incite à penser au-delà des apparences visuelles et des évidences lexicales. Peut-être est-ce aussi pour cela que l'on a inventé la photographie.

dimanche 14 juin 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Trentième semaine

Zinneke Parade, 2018

SOLITUDE


Solitude : « état d'un lieu désert ». Or, dans cette photo, il y a du monde ; ce titre lui est-il vraiment adéquat ? Et pourtant, à la considérer, c'est bien le mot solitude qui s'impose spontanément. Il s'impose parce qu'il n'y a qu'un punctum qui y perce : ce seul visage vers lequel, immanquablement, l'attention se porte. Un visage qui, à lui seul, confère tout son sens à cette photo.

Cette personne au visage un peu figé est seule – et donc solitaire – parce que toutes les autres sont comme absentes de l'image : elles se détournent de l'objectif du photographe, s'affairent à diverses choses, discutent, boivent... Ce seul visage qui nous fait face manifeste ainsi son isolement. Cette personne ne participe pas aux affairement du groupe, elle en reste ignorée, presque exclue. Les autres, aussi nombreux soient-ils, aussi agités, bruyants, gesticulants... ne représentent rien : l'œil qui contemple l'image ne s'y attarde pas. Dans le cadre de cette photo, j'ai fait de cette foule le désert qui crée la solitude d'une personne.

Certes, il semble qu'elle soit là un peu malgré elle, étrangère aux intérêts du groupe. On devine chez elle un certain handicap, une certaine différence. Assez pour que le groupe, se croyant pourtant solidaire, instaure suffisamment de solitude pour que l'un de ses membres s'y retrouve isolé.

samedi 6 juin 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Vingt-neuvième semaine

Gay Pride Parade 2016

LA GRATIFICATION


On ne saurait exagérer combien la pratique de la photographie peut être gratifiante – souvent, de manière imprévisible.

Je maraudais ainsi parmi les participants de la Belgian Pride Parade avant que le cortège ne s'ébranle. Très souvent c'est le meilleur moment pour faire les photos d'un tel événement, et je me suis fait une règle d'être toujours présent dans les coulisses avant la représentation. Les acteurs y sont plus naturels, s'exercent à leur rôle, s'y préparent avec plus ou moins de conviction, tout en n'étant pas encore imprégnés de leur personnage. Ils discutent entre eux et ne se soucient guère du photographe qui rôde parmi eux.

Des photographes, il y en avait des dizaines, exhibant le simple téléphone portable jusqu'à l'équipement le plus impressionnant. Ce sont mes alliés. Car leur nombre permet de me fondre dans la masse et de me rendre presque invisible. Ce sont là les circonstances privilégiées d'une rare liberté.

Cette jeune femme faisait partie d'un groupe joyeux et bruyant avec lequel elle échangeait des plaisanteries. L'animation parmi eux était grande et, tout à ses badinages, elle ne remarquait pas que, depuis un moment déjà, je la photographiais. J'étais fasciné par son séduisant visage, son attitude enjouée, ses expressions spontanées... À la fin elle nota soudain ma présence et l'objectif pointé vers elle. Elle me gratifia alors de ce généreux sourire tout en prenant une pose de militaire saluant, pour le remercier comme j'aime à le croire, le photographe qui prenait la peine de s'attarder sur elle.

Ce visage rayonnant, ce sourire éclatant, ce regard lumineux, je les prends pour moi. Ils sont un remerciement, une gratification qui me sont exclusivement réservés, personnels.

Trop heureux de vous avoir offert ce plaisir mademoiselle. À mon tour de vous retourner mille mercis pour le partage de votre joie de vivre.