samedi 25 avril 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Vingt-troisième semaine

Station de métro De Brouckère, 2011

ASSOUPISSEMENT


Dans la photographie de rue, nous sommes toujours confrontés à cette difficulté qui consiste à accorder une attitude à son environnement. Ce dernier est toujours imposé ; la première toujours inattendue, et le rapport des deux arbitraire. La plupart du temps en dissonance, parfois en accord secret, très souvent incongru. Rarement en harmonie. C'est un fait qui accompagne la photo­graphie de rue et que l'on doit apprendre à accepter. Mais, quelquefois, cette incongruité relève l'image et lui permet d'échapper à la banalité.

Il y a des événements de couleur comme il y a des convergences graphiques qui structurent l'image d'une manière assez forte pour qu'elle en tire tout son sens, pour qu'elle « marche ». À preuve cette photo qui oppose la rigueur géométrique d'un environnement maîtrisé avec un personnage dont tout dans l'attitude s'y oppose.

Dans une station de métro fort fréquentée, il s'était assit là, fatigué sans doute, et s'est endormi. Son cabas s'est renversé, mais il n'en a pas conscience. Et personne de s'en soucie. Il dort là où tout le monde court ; il dort malgré le fracas des rames de métro qui viennent et qui repartent.

Et le miracle s'est opéré : le rouge des carrelages s'accorde ou rouge des motifs géométriques de son pull ; du rouge encore se répète des effets échappés du sac renversé. Le reste est gris clair, seul le rouge demeure, et l'attitude d'un homme assoupi qui nous offre une image comme sortie d'un rêve où la froide géométrie des choses se voit contestée par les besoins fondamentaux de la vie.

samedi 18 avril 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Vingt-deuxième semaine

Rue du Marché, 1981



LE CARROSSE D'OR




Aux heures dorées, en été, quand « le soleil couchant revêt la ville entière d'hyacinthe et d'or », les plus délabrés tacots se font rutilants carrosses.


Une porte de garage faite de lames métalliques reflétait les rayons du couchant sur cette voiture stationnée à proximité. La triviale guimbarde se transforma alors, pour quelques instants, en objet d'un luxe extravagant. Car qui peut rêver posséder un jour un carrosse d'or ? Pour qui ce rêve consent-il à se faire réalité ?...

    pour un richissime cheikh d'Arabie...
    pour un magnat du pétrole en Amérique...
    pour un redouté parrain de la mafia de Sicile ou de Calabre...
    pour un opulent monarque d'Asie...
    pour une capricieuse et arrogante star d'Hollywood...
    pour un tout-puissant narcotrafiquant du Mexique...
    pour un roitelet corrompu d'Afrique...
    pour un nabab fortuné d'Inde...

    ... tous hommes d'exception, fastueux représentants de ce que l'humanité recèle de plus infantile.

Mais pour le photographe ? Qu'il se contente de fixer ce rêve en photo et qu'il s'en satisfasse !

samedi 11 avril 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Vingt et unième semaine

Zinneke Parade 2012



REGARD INTENSE




Il était un peu perdu au sein de sa troupe. Grimé de vert, un chapeau haut en équilibre instable sur sa tête, il observait ses compagnons en quête d'un geste, d'une attitude, d'un mouvement à imiter. Je ne me souviens plus à quelle zinnode il participait.


Je le photographiais depuis un moment déjà, à son insu, profitant d'un arrêt du cortège pour multiplier les clichés. J'aimais assez ces costumes et ces maquillages en vert majeur.


Puis, soudain, il m'aperçut. Ou plutôt, il aperçut l'œil morne de l'objectif pointé sur lui. Un très court instant, son visage s'est ainsi pétrifié, et son regard, qui exprime tant la surprise que l'interrogation, s'est figé. Une fraction de seconde ; juste le temps d'appuyer sur le déclencheur, avant qu'il ne se détourne.


La magie de la photographie s'exprime tout entière dans cette image : sa faculté de saisir l'éphémère, l'arrêter la fulgurance d'une émotion intime qui s'inscrit en clair sur un visage. Ce jour-là, il m'a été donné de pouvoir fixer à jamais un regard dont l'intensité ne se répétera peut-être plus, tant elle fut brève et juste, tant l'émotion qu'il exprima était fugace et intime. Ce regard, qui maintenant me scrute de manière presque obsédante, me fascine et m'émeut à son tour.


Oui mon garçon, il m'a été donné d'aller tout au fond de ton âme, l'instant d'un éclair, et pour l'éternité.

samedi 4 avril 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES - Vingtième semaine

Parc du Cinquantenaire, 2013



POINT DE VUE




Je m'étonne parfois de constater combien dépouillées peuvent paraître certaines scènes que je photographie. Magie – tromperie diront certains – du cadrage. Il isole le sujet qui en devient principal par défaut. Mais quand la scène ainsi mise en valeur apporte son lot d'interrogations, l'image devient alors vraiment intéressante.


Une toile blanche avait été tendue afin d'isoler une partie du parc dans le cadre d'un événement. Bizarrement elle était percée d'une ouverture permettant de voir ce qui se passait derrière. Du moins, si l'on avait la taille d'un adulte...


Un père porte son enfant afin de lui permettre de jouir d'un spectacle auquel il n'aurait pu accéder seul. Qu'y a-t-il là derrière ? Pourquoi ce voile ? Pour cacher quelque chose ? Mais alors pourquoi y avoir fait cette ouverture ?


C'est vers une intéressante conclusion que nous mène une courte méditation sur cette photo. Un voile masque mais, simultanément, se fait invitation à contempler ce qu'il masque. Curieuse contradiction. Masquer n'est pas tant cacher – ce qui suppose le secret – qu'éveiller la curiosité ; c'est comme une invite à l'indiscrétion. Et une métaphore de l'essence de la vérité : ce qui voile dévoile en même temps. Par conséquent tout dévoilement – toute vérité – présuppose le voile, la dissimulation, l'occultation, le recel... Comment alors une vérité pourrait être dite absolue ?


Un père porte son enfant afin qu'il apprenne à regarder au-delà de l'apparence des choses. La vérité est aussi affaire de point de vue.