samedi 25 janvier 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Dixième semaine

Parc du Cinquantenaire, 2010



LE POUVOIR DES FEMMES




C'est par antiphrase que l'on parle du « sexe faible ». Ironie dépitée par laquelle les hommes s'avouent leur infériorité devant celles qui leur permettent tout simplement d'exister.

C'est ce que cette photo illustre. La femme, visage baissé, peine à réprimer un sourire satisfait devant l'homme, à la mine pincée, qui semble se dire : « Merde ! Je me suis encore fait avoir ! ».

Les femmes jouissent d'un pouvoir extraordinaire sur les hommes tout en feignant, fort adroitement, d'être soumises à ces derniers. Elles font ainsi preuve de leur intelligence supérieure. La domination des mâles ne peut se hisser à cette hauteur de vue, et c'est pourquoi elle est toujours violente.

samedi 18 janvier 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Neuvième semaine

Rue de l'Étuve, 2018

PÈLERINAGE


Il est des lieux, écrins de quelque relique sacrée le plus souvent, qui agissent comme des aimants, attirant les foules innombrables dans un fervent rassemblement religieux. Tels sont les pèlerinages. Le motif y est fondamentalement spirituel : on se rend à Lourdes, à Jérusalem, à la Mecque, Varanasi ou Kyoto, pour affirmer sa foi et l'affermir plus encore.
Mais il y a aussi des pèlerinages profanes : les rencontres de football ou les festivals de rock par exemple. C'est ici une passion commune qui rassemble les foules.
Il m'arrive souvent de passer par la rue de l'Étuve. C'est une rue étroite réservée aux piétons. Certains jours, à certaines heures, elle est bondée à n'y plus pouvoir bouger. Mais vers quelle sainte relique tous ces gens peuvent-ils bien converger ? Quel tropisme sacré les fait-il ainsi se rassembler ? – Manneken Pis !
Qu'une statuette de même pas soixante centimètres de haut puisse jouir d'un tel pouvoir attracteur me laisse chaque fois perplexe. Je cherchai la réponse à mes questions en fixant ce que l'écran des téléphones portables s'apprêtait à capturer. – Oui Madame ; je vous ai surprise. En d'autres circonstances, en d'autres lieux ou sous d'autres lois, ceci pourrait être pris pour de la pédopornographie ! Foule hypocrite ! Je sais maintenant le mobile de ta ferveur suspecte.

samedi 11 janvier 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES - Huitième semaine

Chaussée de Vilvorde, 1980



CRÉPUSCULE




Peut-on photographier ses émotions, son ressenti, ses états d'âme ? Je veux dire les photo­graphier directement, comme des objets docilement posés devant l'objectif, immobiles et adéquatement éclairés. – Soyons prudents avant de répondre « non » d'un ton trop décidé.

C'était un dimanche soir, en hiver, et déjà la nuit s'apprêtait à couvrir la ville. J'avais marché de longues heures à la recherche d'images mais la moisson avait été maigre. La fatigue et l'ennui m'avaient saisi. J'avais froid et je ne souhaitais rien d'autre que de rentrer chez moi. J'en étais loin encore, et la rareté des transports en commun en ce dimanche soir balayait l'espoir d'y parvenir rapidement. Un irrésistible cafard m'envahit comme une nausée.

C'était un dimanche soir, en hiver, et j'étais las. La lumière se faisait déjà incertaine, confondant le chien et le loup ; le ciel se para des couleurs crépusculaires de mon abattement.

C'était un dimanche soir, en hiver, et la fin du jour se faisait fin du monde. Le canal figé aux eaux tristes, la solitude de deux phares allumés, les néons criards de la station-service déserte, conspirèrent pour composer un paysage à l'image de ma mélancolie.

J'en fis la photo. Chaque fois que je la regarde, je revis avec une invincible vitalité cette morosité que j'avais projeté sur le monde, un dimanche soir, en hiver.

samedi 4 janvier 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES - Septième semaine

Rue de la Régence, 2010



JANUS CHAUFFEUR DE BUS




Il faut laisser faire le hasard, surtout quand il fait bien les choses.

C'est par ce rouge dominant qui charpente cette image que mon regard avait été attiré. Je ne voyais que lui. Si cela pouvait faire une bonne photo ou non, était une question qui ne m'effleurait même pas. Ce rouge m'apostrophait : « photographie-moi ! » Je ne pouvais qu'obéir à cet impératif. Dans ce genre de situation, pressé par l'évanescence programmée de l'événement, on ne songe guère au-delà du souci de capturer l'instant. L'autobus était sur le point de repartir. Vite ! Cadrer ; ajuster la mise au point ; se fier à l'exposition automatique ; déclencher enfin... Juste à temps ! Et maintenant, à la grâce de Dieu.


Ce n'est qu'en éditant la photo que j'aperçus le visage de Janus du chauffeur. Dans la hâte de la prise de vue, je n'ai rien vu d'autre que tout ce rouge qui m'en mettait plein les yeux.


Le hasard est un sorcier bien trop fantasque pour s'y fier. Il ne faut pas compter sur lui ; il déçoit trop souvent. C'est dans l'innocence de l'événement natif, dans le miracle d'une conjonction heureuse, mais éphémère, qu'il se révèle quelquefois un bon allié. Le photographe doit se faire opportuniste ; c'est alors qu'il est récompensé.