Chaussée
de Vilvorde, 1980
CRÉPUSCULE
Peut-on
photographier ses émotions, son ressenti, ses états d'âme ?
Je veux dire les photographier directement,
comme des objets docilement posés devant l'objectif, immobiles et
adéquatement éclairés. – Soyons prudents avant de répondre
« non » d'un ton trop décidé.
C'était un dimanche soir, en hiver,
et déjà la nuit s'apprêtait à couvrir la ville. J'avais marché
de longues heures à la recherche d'images mais la moisson avait été
maigre. La fatigue et l'ennui m'avaient saisi. J'avais froid et je ne
souhaitais rien d'autre que de rentrer chez moi. J'en étais loin
encore, et la rareté des transports en commun en ce dimanche soir
balayait l'espoir d'y parvenir rapidement. Un irrésistible cafard
m'envahit comme une nausée.
C'était un dimanche soir, en hiver,
et j'étais las. La lumière se faisait déjà incertaine, confondant
le chien et le loup ; le ciel se para des couleurs
crépusculaires de mon abattement.
C'était un dimanche soir, en hiver,
et la fin du jour se faisait fin du monde. Le canal figé aux eaux
tristes, la solitude de deux phares allumés, les néons criards de
la station-service déserte, conspirèrent pour composer un paysage à
l'image de ma mélancolie.
J'en fis la photo. Chaque fois que
je la regarde, je revis avec une invincible vitalité cette morosité
que j'avais projeté sur le monde, un dimanche soir, en hiver.
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