samedi 22 février 2020

52 SEMAINES À BRUXELLES – Quatorzième semaine

Rue Dansaert, 2011



LES ENCORNÉS DE LUMIÈRE




Tout grande métropole se doit d'avoir son avenue consacrée à la mode et aux boutiques de luxe. Düsseldorf a sa Königsallee, New York sa 5th Avenue, Paris ses Champs Élysées. Bruxelles a sa rue Dansaert. Deux cents mètres, trois cents tout au plus, non loin du centre historique. Immeubles du XIXe siècle dans un quartier qui n'a rien de luxueux. Sauf ces quelques boutiques qui peinent à conférer du prestige à une rue qui n'en a jamais eu. Recherche de la présentation raffinée et de l'étalage séducteur, sobre mais original. L'élégance doit supplanter l'ostentatoire ; le tapageur y est mal vu. Il s'agit ici de mettre des œuvres couturières en évidence. « On fait de l'Art ici, Monsieur ».


Le photographe ne les voit pas de cette manière. Depuis Atget, les étalages et devantures des boutiques n'ont eu de cesse de fasciner les photographes. C'est qu'ils y trouvent un microcosme porteur d'images que le monde de la rue n'offre pas aussi aisément. Sur quelques mètres carrés toute une humanité inerte faite de mannequins figés, s'expose complaisamment. Une humanité excentrique souvent, sinon extravagante, mais docile en son immobilité, porteuse d'une gesture qui rappelle celle des vivants. Elle est comme la caricature de la comédie urbaine qui se déroule dans les rues de la ville.


Pour le commun des badauds, qui s'arrête devant la vitrine, n'observant que la tenue magnifiée par le mannequin, cette duplication du monde humain n'apparaît pas. Le photographe, voyeur dévergondé et insolent, le regard déformé par son insatiable quête du rare, de l'étrange, du drôle, de l'original, sinon du sordide ou du dramatique, jouissant à exalter le ridicule – tels sont les noms du « Beau » en photographie –, va à l'encontre de ce que le chaland appâté se contente de voir, le nez collé sur la vitre. De l'autre côté de la rue, armé d'un téléobjectif, le photographe n'a vu de ce présentoir que deux encornés de lumière.


Il te reste, toi qui patiemment contemple mes images, d'en raconter l'histoire.

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